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me sembla que cette beauté corporelle, que ces teintes d’un rose pâle n’avaient pas encore complètement disparu, et qu’en se résolvant dans l’air elle n’avait pas cessé pourtant de planer autour de moi. L’aube peut-être la colorait ; Je me sentais un peu fatigué, et je me dirigeai vers la maison. En passant devant le poulailler, j’entendis les oisons qui caquetaient. Ce sont les premiers oiseaux à se réveiller… Le long du toit, à l’extrémité des perches qui retiennent le chaume, il y avait des corneilles en sentinelle. Toutes, fort empressées de faire leur toilette matinale, se profilaient nettement sur un ciel laiteux. Par momens toutes se levaient à la fois et s’envolaient pour aller à quelques pas se ranger en ligne, sans faire un cri. Dans le bois voisin, par deux fois retentit le gloussement enroué du coq de bruyère, déjà en quête de baies sauvages dans la verdure humide. Pour moi, me sentant gagner par un léger frisson, j’allai me jeter sur mon lit, et bientôt un lourd sommeil s’empara de moi.


XI

La nuit suivante, lorsque je m’approchai du vieux chêne, Ellice vint à ma rencontre comme une vieille connaissance. De mon côté, toute crainte avait disparu, et je la retrouvai presque avec plaisir. J’avais cessé de faire des efforts pour comprendre mon aventure, et je ne pensais plus qu’à voler encore et à satisfaire ma curiosité.

Bientôt le bras d’Ellice m’enlaça, et nous prîmes notre essor.

— Allons en Italie, lui dis-je à l’oreille.

— Où tu voudras, ami, répondit-elle doucement, mais avec un petit ton de triomphe. Doucement et triomphalement elle pencha sa tête vers moi. Je crus remarquer que son visage était moins transparent que la veille, ses traits plus féminins, moins vaporeux ; elle me rappelait cette admirable apparition que j’avais eue la veille au moment de nous séparer.

— Cette nuit, continua Ellice, c’est la grande nuit. Elle vient rarement ; quand six fois trente…

Ici je perdis quelques mots.

— … Alors, poursuivit-elle, on peut voir ce qui est caché en d’autres temps.

— Ellice ! lui dis-je d’un ton suppliant, qui es-tu ? Dis-le-moi à la fin !

Sans répondre, elle étendit sa longue et blanche main. De son doigt sur le ciel sombre, elle indiquait un point où, parmi de petites étoiles, brillait une comète d’aspect rougeâtre.

— Comment te comprendre ? m’écriai-je. Vis-tu comme cette comète, errante entre les planètes et le soleil ? Vis-tu parmi les