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faible clarté d’une seule lampe accentue vaguement les traits bronzés des auditeurs silencieux. Après le service, tout le monde se disperse : les uns chantent, les autres dansent ; mais le plus grand nombre d’entre eux se serrent autour du padre, qui leur montre les prodiges de la lanterne magique. Comme plusieurs de ces visiteurs nocturnes viennent de villages éloignés de quinze ou vingt milles, le missionnaire est tenu de remplir envers eux les devoirs de l’hospitalité : ses faibles moyens y suffiront-ils ? Qu’on ne s’effraie point : ces peuples se contentent de peu ; d’abord on couche en plein air, et quelques poignées de riz, distribuées de groupe en groupe, sont bientôt transformées en un plat suffisant pour l’appétit frugal d’un Hindou. Le lendemain, avant le jour, les enfans chantent des carols (des noëls) en langue télugu, qui a été surnommée pour la douceur et l’élégance l’italien de l’Orient. Dès l’aube, de nouveaux villageois arrivent, apportant au ministre quelques offrandes, des fruits, du miel, du baume. On se rend alors à l’église, une humble cabane décorée de guirlandes et de festons. Pour mieux célébrer la fête, le missionnaire présente à la foule deux ou trois moutons qu’il tenait en réserve dans son étable. Les feux s’allument, les femmes préparent la nourriture ; de larges feuilles servent d’assiettes, et les convives s’assoient sur l’herbe pour dîner. Ceci fait, tout le monde se sépare, et le missionnaire reste dans sa hutte face à face avec la solitude et le souvenir navrant de la patrie absente, que réveille pour un Anglais sous tous les climats le plum-pudding de Noël.

Les missions protestantes de la Grande-Bretagne s’étendent sur bien d’autres contrées de l’ancien et du nouveau monde ; mais elles nous présenteraient avec de légères nuances le même théâtre de faits. Partout l’école est annexée à l’église, car le sauvage qui se convertit au christianisme doit apprendre à lire la Bible. Cette condition rencontre pourtant plus d’un genre de difficultés, surtout parmi les adultes. Pour vaincre ces obstacles, le révérend R. Hunt, ayant exercé longtemps les fonctions de missionnaire en Patagonie dans Rupert’s Lands, a inventé sur les lieux un nouveau système d’écriture qui permet, assure-t-on, aux plus ignorans de lire la Bible après quelques leçons et quelques jours d’exercice. Cette écriture s’applique à toutes les langues ; aussi l’auteur lui donne-t-il le nom d’universelle, de prébabélique. Par antithèse avec nos artifices et nos signes de convention, il intitule ses caractères des lettres naturelles. Il serait difficile de donner une idée de cette méthode à quiconque n’a point le syllabaire devant les yeux[1] ; mais ne

  1. On peut voir les détails de cette découverte dans Missionary news, 15 mars 1866.