Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 63.djvu/852

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de l’Évangile, et d’abord le régime des castes. D’accord en cela avec les usages du pays, la religion des Hindous a cherché dans l’ordre divin la racine de toutes les distinctions sociales. Il n’en est plus du tout de même du christianisme, qui proclame, du moins en principe, l’égalité des hommes devant Dieu. Aussi est-ce parmi les castes inférieures et notamment celle des parias que les évangélistes recrutent surtout des partisans ; les autres Hindous craignent, en changeant de religion, de perdre les honneurs et la considération qui s’attachent à leur famille. D’un autre côté, les missionnaires n’ont point affaire ici comme dans les mers du sud à de vagues et absurdes légendes, à une théogonie informe ; les Hindous leur opposent au contraire une tradition, des monumens littéraires, une poésie de haute source. La Bible contre les Védas et contre le Coran, c’est un combat de livres. Les mahométans, qui sont très nombreux aux Indes, soutiennent que l’Ancien et le Nouveau Testament existaient déjà du temps du prophète, que Mahomet en a reconnu une partie comme étant la parole de Dieu, et que ses disciples n’ont aucune raison d’aller plus loin que lui dans la foi aux Écritures. Près des sauvages, un des grands argumens en faveur du christianisme est la supériorité de la civilisation britannique. « Nos pères, leur disent les Anglais, étaient eux-mêmes des barbares ; mais des missionnaires sont venus dans leur île, et ils leur ont apporté un livre qui a changé l’état des choses. » Ce même raisonnement ne réussit guère auprès des Chinois et des Hindous, qui jouissent après tout d’une société différente de la nôtre, mais à quelques égards florissante. « Et que faisait votre Dieu, répondent-ils dédaigneusement aux missionnaires anglais, du temps où vos ancêtres adoraient les arbres des forêts ? »

N’oublions pas, d’un autre côté, que, l’empire indien étant une des annexes de la Grande-Bretagne, les naturels sont portés à voir dans la religion de leurs maîtres un des fantômes de la conquête. Il y a quelques années, à la suite de l’insurrection qui avait éclaté dans l’armée du Bengale, les sociétés de Londres, attribuant cette lutte à l’état des esprits, firent de nouveaux sacrifices d’argent pour affermir dans l’Inde les croyances chrétiennes. On cherche surtout, en pareil cas, à employer des Hindous convertis, dont l’éducation et le rang social inspirent du respect aux indigènes, sans soulever les mêmes préjugés qui s’attachent trop souvent à la domination étrangère. Ce qu’on ignore peut-être en Europe, c’est que l’anxiété du doute, regardée comme un signe des époques de transition, n’est point du tout une maladie particulière à notre continent et à nos sociétés. Cette contagion morale, elle existe dans l’Inde, où l’on trouve aussi des Werther et des René à sang noir. L’un d’eux,