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fondées par les étrangers. En 1828, Radama mourut ; l’héritier légitime de la couronne était son fils Rakotobe, un disciple des missionnaires dans lequel ils plaçaient leurs meilleures espérances, mais ils avaient compté sans l’ambition d’une femme. Ranavalona, une des douze sultanes du dernier roi, jura de ramasser le sceptre, fit assassiner Rakotobe et institua un règne de terreur contre les chrétiens. « Les entrailles de la terre, s’écria-t-elle, seront fouillées et les lacs dragués par le filet avant qu’un seul d’entre eux échappe à la justice, du pays. » Elle rouvrit en effet l’ère des persécutions sanglantes et la série des martyrs. Les chrétiens du pays la comparaient à une tigresse noire, mais avec une tache blanche ; cette tache blanche était l’affection maternelle. Elle aimait son fils Rakoto-radama, un jeune homme de dix-sept ans qui avait suivi en secret les assemblées religieuses des néophytes. Après un règne marqué par des supplices, Ranavalona mourut en 1861. Rakoto avait un rival qui lui disputait le trône : il le fit enfermer dans un château-fort et fut proclamé roi sous le nom de Radama II. Le nouveau souverain rappela les missionnaires anglais, que la tourmente avait éloignés de l’île ; ils revinrent, et l’un d’eux, le révérend William Ellis, se fit le Mentor de ce Télémaque noir. Les chrétiens exilés rentrèrent ; les bibles qu’on avait enterrées sortirent du sable des déserts, et les persécutés montrèrent avec orgueil la trace des fers qu’ils avaient portés sous le dernier règne. Le caractère et la conduite du jeune roi ne répondirent pourtant point à l’opinion qu’avaient conçue de lui les missionnaires. Après un règne assez court, il fut déposé du trône et mis à mort. Aujourd’hui la religion chrétienne est tolérée à Madagascar, quoique le gouvernement soit idolâtre. Le consul anglais, M. Pakenham, a négocié dernièrement un traité en vertu duquel ses compatriotes, aussi bien que les chrétiens indigènes, doivent jouir de la liberté religieuse. Cet état de choses a ranimé le zèle des missions protestantes, qui gagnent chaque jour du terrain ; elles ont pourtant un grand obstacle à vaincre dans la constitution politique du pays. La présente reine de Madagascar croit ses prérogatives intéressées au maintien des anciens usages : ce sont les idoles qui font son pouvoir sacré.


IV

On a vu jusqu’ici l’influence morale de la Grande-Bretagne aux prises avec des races ignorantes et naïves bien forcées de reconnaître dans le christianisme les traits d’une religion supérieure : il n’en est plus du tout de même lorsque les missionnaires s’adressent à des nations qui possèdent déjà une philosophie, une doctrine et