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travaux. Quel fut l’étonnement des sauvages la première fois qu’ils virent cuire des pierres pour faire de la chaux ! Mêlant l’ocre rouge à la poussière des madrépores que voiturent les flots de la mer, on obtient une belle couleur saumon qui donne aux murs un aspect des plus agréables. Si j’en crois les dessins faits par les missionnaires eux-mêmes et conservés à Londres, quelques-unes de ces habitations ont un grand air d’élégance. Les jardins en sont soignés, et les bananiers, l’arbre à pain et les cocotiers qui les entourent répandent toutes les richesses d’un feuillage tropical. Il s’agit maintenant de meubler l’intérieur de la maison. Ce n’est point la matière brute qui manque ; le bois de rose et d’autres essences forestières de grand prix ne coûtent que la peine de les abattre ; mais le missionnaire anglais doit être un peu tourneur et un peu ébéniste, s’il veut tirer avantage de ces présens de la nature. La plupart d’entre eux ont une certaine pratique des métiers manuels, et sous l’empire de la nécessité, que nos voisins appellent la mère des arts, ils triomphent peu à peu des premiers obstacles. Comme ils recommencent la civilisation, les procédés les plus simples sont les meilleurs, et c’est de l’expérience bien plutôt que des livres qu’ils apprennent les élémens de l’industrie. Leurs femmes sont aussi d’un grand secours pour tout ce qui touche au bien-être domestique. Elles exercent dans la maison et au dehors une influence toute de sympathie qui contribue beaucoup au succès des missions anglaises. Plus à même que les hommes de s’introduire auprès des femmes du pays et des enfans malades, elles gagnent aisément les cœurs par les services qu’elles rendent. Les sauvages eux-mêmes associent aisément l’idée d’une compagne aux travaux des évangélistes. Quand les missionnaires catholiques arrivèrent dans les îles de l’Océanie avec les sœurs de charité, les naturels les reçurent comme les femmes des prêtres, et c’est une idée qu’on ne put jamais leur ôter de la tête. Qui n’admirerait d’ailleurs le dévouement des Anglaises qui se condamnent à vivre loin de tous les avantages de la société ? Seules au milieu d’hommes d’une autre couleur, parlant une autre langue, suivant d’autres usages, ce n’est pas sans horreur qu’elles considèrent leur situation dans le cas où leur mari viendrait à mourir et à les laisser dans ces contrées barbares. Elles accompagnent souvent le missionnaire dans ses courses et partagent bravement ses dangers avec le reste de la famille. On compte même parfois sur ces êtres faibles pour apprivoiser les instincts farouches ; mais le genre d’affection qu’ils excitent parmi les indigènes devient dans plus d’un cas une source d’embarras. John Williams était en vue de l’île d’Aitutaki dans un vaisseau où il parlementait avec les naturels, quand l’attention de ceux-ci fut