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d’invoquer les idoles jour et nuit. La fille meurt, et le père, irrité contre ces dieux ingrats, envoie son propre fils mettre le feu au temple. Les bons missionnaires seraient bien un peu tentés de voir des miracles dans de pareils faits ; plus modestes pourtant, ils se contentent d’y chercher la main de la Providence. Ou je me trompe fort, ou si les peuples de l’Océanie ont jamais des chroniques, une nuance de merveilleux se mêlera nécessairement à l’histoire de l’introduction du christianisme dans ces îles. Un roi sauvage longtemps malheureux à la guerre finit un jour par attribuer ses défaites à l’impuissance des divinités locales : il invoque sous conditions le Dieu des chrétiens et remporte la victoire. — En lisant ce récit des missionnaires, qui ne songe à Clovis et à la bataille de Tolbiac ? Il est aussi intéressant de suivre chez les naturels convertis la trace des anciennes superstitions. Un oncle du roi de Rarotonga avait élevé à Jéhovah et à Jésus-Christ un autel qui fut visité bientôt par de nombreux-malades, et comme les guérisons paraissaient certaines, cette nouvelle marae obtint un grand succès. Le christianisme anglais, dans sa rigidité théosophique, était tellement opposé aux idées de ces peuples qu’il fallait que l’esprit de l’Évangile modifiât l’état des mœurs, ou que la force des habitudes altérât l’esprit du livre. C’est le plus souvent l’un et l’autre résultat qui s’est produit.

Tout le système de propagande religieuse repose sur ce qu’on appelle native agents, agens indigènes. Ce sont les sauvages qui instruisent les sauvages. A peine les missionnaires anglais ont-ils gagné un des insulaires, qu’ils s’en servent pour convertir les autres. Comme il parle naturellement la langue du pays et qu’il connaît le caractère des hommes de sa race, il exerce sur eux beaucoup plus d’influence qu’un étranger. Quelques-uns de ces agens à peau jaune ou noire mènent souvent une vie très aventureuse au milieu de mers fertiles en odyssées. L’un d’eux, nommé Elékana, cherchait avec huit compagnons à passer d’une île à l’autre quand la voile de leur embarcation fut emportée par un coup de vent ; les malheureux virent la terre s’évanouir et se trouvèrent au milieu d’un désert d’eau qui s’ouvrait à chaque instant comme pour les engloutir. Après avoir été exposés pendant huit semaines à toutes les injures de l’océan, le canot qui les portait fut jeté contre les récifs d’une île située à trois ou quatre cents milles de l’endroit où ils comptaient aborder. Elékana et trois autres qui survivaient au désastre furent recueillis par les insulaires, qui étaient idolâtres. Pour payer la dette de l’hospitalité, Elékana ouvrit une école, et après quelque temps, ayant trouvé un vaisseau qui allait à Samoa, il vint annoncer aux missionnaires du clergé anglais ce qui se passait. Il avait besoin de bibles et de collaborateurs, pour étendre l’œuvre