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nous avons droit à une très grande part de sa gratitude. Il y a plus, l’autorité morale de la France est une garantie pour l’Italie, même contre des revers qu’elle aurait imprudemment encourus ; enfin il n’est pas possible que l’Italie obtienne la Vénétie sans le concours de la politique française. Ces considérations interdisent à l’Italie tout mouvement qui pourrait engager la France au-delà de ses intérêts et de ses convenances : un grand pays comme la France répugne à l’idée de se laisser mener par un allié trop peu patient et trop exigeant. Il nous semble donc que nous avons le droit de compter que le gouvernement et le peuple italiens sauront se modérer et se contenir durant les délibérations du congrès. L’Italie ne peut d’ailleurs que gagner à l’issue pacifique des négociations. L’objection que l’attente pour elle est ruineuse est futile quand on songe aux hasards bien autrement ruineux auxquels l’exposerait une agression tentée en défi des puissances neutres et de l’opinion générale de l’Europe. L’Italie n’interrompra donc point par une attaque étourdie et inexcusable les négociations ouvertes à Paris.

On doit avoir une égale assurance du côté de l’Autriche. Il faut reconnaître que la cour de Vienne, en ajournant l’entrée en campagne, sacrifie des avantages positifs. Le gouvernement autrichien a été prêt au point de vue militaire avant ses antagonistes. Ce gouvernement a aussi une bonne fortune à laquelle il n’est point accoutumé ; les procédés provocateurs de M. de Bismark ont touché la fibre des populations autrichiennes, et la cour de Vienne est soutenue par un enthousiasme populaire qu’elle a peine à contenir. L’émotion qui anime l’armée de François-Joseph et toutes les races attachées à la fortune de la maison d’Autriche pouvait promettre des succès prompts et décisifs à une attaque impétueuse dirigée contre la Prusse ; mais la cour de Vienne, si elle garde son sang-froid, si elle est politique, si elle est habile, pourra tirer un plus grand parti de cette force dans les négociations que dans la guerre. Par la guerre comme par la paix, le problème politique actuel pour l’Autriche est de rompre la combinaison prusso-italienne ; ce problème est plus facile à résoudre par la paix que par la guerre. Il est visible que, pour l’Autriche, son gouvernement, ses peuples, son armée, la question allemande dépasse singulièrement aujourd’hui en importance la question italienne. Du côté de l’Italie, l’Autriche ne peut plus faire aujourd’hui qu’une politique stérile, épuisante, ingrate. Elle ne pourra pas, elle doit bien le savoir, vaincre, absorber, s’assimiler le génie italien en Vénerie. Ce qui s’est fondé en Italie et les engagemens de la politique française ne lui permettent plus d’aspirer à rétablir sur la péninsule son ascendant par des principautés de famille, une police tracassière et des occupations armées. De ce côté, l’avenir lui est à jamais fermé. A quoi lui sert donc la Vénétie ? Uniquement à faire durer les inconvéniens d’un antagonisme dont elle ne possède plus les avantages qui en étaient la compensation. En gardant la Vénétie, elle entretient contre elle dans