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qui nous importent, c’est elle que nous connaissons le mieux. Admettons que la paix armée détermine la présence sous nos drapeaux de 200,000 hommes de plus. Deux cent mille hommes ajoutés au noyau de l’armée entraînent en temps de paix une dépense supplémentaire de 100 millions environ. Or, si nous faisions la guerre jusqu’à ce que nous eussions obtenu le remaniement de la carte de l’Europe, on peut bien supposer que nous aurions à emprunter 1 milliard et demi effectif, comme dans la guerre de Crimée, dont l’objet était plus simple et plus nettement défini. De plus, eu égard à l’état du marché, il ne semble pas qu’on dût s’attendre à placer l’emprunt au-dessus du taux de 55 en 3 pour 100. Avec l’amortissement accoutumé, ce serait une charge annuelle d’environ 85 millions à perpétuité. A cela on doit joindre une somme assez forte pour les pensions militaires. L’appauvrissement qu’éprouverait la société du fait de la guerre arrêterait la progression de l’impôt. De là une somme à rabattre des ressources du budget. Finalement le budget de l’état serait affecté par la guerre plus que par l’obligation imputée au système de la paix armée d’entretenir 200,000 hommes de plus. Il y aurait ensuite la perte matérielle que subirait la société par le fait de la destruction des capitaux que la guerre absorbe et par celui du ralentissement imposé à l’industrie et au commerce, outre la douleur et l’affliction qui seraient semées dans la plupart des familles, et qu’aucune somme d’argent ne pourrait balancer. Ainsi à part toute considération d’humanité, et c’est par manière de raisonnement que nous consentons à en faire abstraction, on voit par ces aperçus relatifs à la France que se jeter dans les hasards de la guerre afin de sortir des embarras et des dépenses de la paix armée serait un fort mauvais calcul, une opération détestable.

Dira-t-on que le système de la paix armée prive les arts utiles des bras d’un grand nombre d’hommes ? Mais si nous faisions la guerre, ce serait bien autre chose. Tant que les hostilités dureront, l’armée française devra être augmentée ; comme on le disait il y a peu de jours, nous aurions 600,000 hommes sous les drapeaux. Et ces soldats, la lutte terminée, rentreraient-ils dans leurs foyers pour s’y remettre au travail ? Hélas ! il y aurait dans leurs rangs l’épouvantable déchet de la guerre. Les armes meurtrières dont on se sert aujourd’hui fauchent les bataillons et les régimens avec une rapidité effrayante. Ainsi, dans un livre intéressant du docteur Chenu, je lis ce renseignement, qu’à la bataille de Waterloo, qui fut si longue et si acharnée, et dans les deux jours précédens l’armée anglaise, fort maltraitée, malgré sa victoire, n’eut pas plus de 8,000 blessés, tandis qu’à Solferino les Français