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une calamité qui n’est acceptable que quand c’est le moyen de repousser ce qui serait un malheur plus poignant pour un peuple civilisé et grand, la perte de son indépendance ou de son honneur.

Ce n’est donc pas le débordement des passions populaires qui a mis l’Europe à deux doigts de la guerre, d’une de ces guerres comme il n’y en a pas eu depuis 1815, car ce serait bientôt une conflagration générale. Ce n’est pas davantage le dérèglement des goûts belliqueux des anciennes aristocraties : celles-là ont été dépouillées de toute prépondérance dans les affaires publiques. Ce n’est pas non plus une aberration des écrivains ou des orateurs politiques ; les publicistes qui ont le don de se faire lire, les orateurs qui ont l’oreille du public, ont en général très peu de sympathie pour la guerre. Ils la traitent comme il convient, et la dépeignent sous ses véritables couleurs, qui ne sont pas séduisantes. Le mouvement n’est pas parti des armées, qui chercheraient dans la guerre, — individuellement des occasions d’avancement, — collectivement le moyen d’exercer la suprématie dans l’état. En Prusse, en Italie, en Autriche, partout en Europe, les armées sont disciplinées et soumises à la loi. Nulle part il n’existe des prétoriens imposant leurs caprices aux souverains. De toutes parts les militaires, respectueusement rangés autour du drapeau, attendent du prince le signal qui doit enflammer leur courage et éveiller leur ambition. Je ne parle pas des manufacturiers et des grands commerçans ; ceux-là sont connus pour leurs dispositions pacifiques. La paix est pour eux l’objet d’un culte, et en s’inspirant de l’esprit de dénigrement on a pu même dire que c’étaient des partisans de la paix à tout prix.

Le fait capital de la situation, celui sur lequel il y a le plus lieu d’insister, c’est qu’aucune puissance n’a des griefs qui l’autorisent à déclarer la guerre ; la dignité d’aucune d’elles n’a reçu de blessure, aucune d’elles n’a été offensée ni outragée, aucune d’elles n’a éprouvé un dommage tel que, pour en avoir la réparation, elle doive faire la guerre.

Il est d’usage qu’avant de déclarer la guerre les gouvernemens publient un manifeste où ils font connaître à tous, auprès et au loin, urbi et orbi, les motifs qui les ont déterminés à cette résolution extrême. Ils jugent avec raison qu’ils doivent des explications au monde civilisé, dont la guerre révolte les sentimens d’humanité. Or comment s’y prendraient la Prusse et l’Italie pour justifier leur entreprise belliqueuse ? Je ne parle que d’elles deux parce que tout porte à croire que l’agression viendrait de l’une ou de l’autre, ou pour mieux dire des deux simultanément. La troisième des puissances qui sont engagées, l’Autriche, subira la guerre, et une fois