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l’appui de ses accusations inattendues contre l’Autriche, soit pour leur donner un air de sincérité, soit pour d’autres raisons plus pratiques, la Prusse a armé. L’Autriche aussitôt a cru devoir faire de même. Les puissances secondaires de l’Allemagne, ne voulant pas se trouver sans moyens de résistance au milieu du conflit, se sont livrées aussi à des armemens. Sur ce, la Saxe a reçu de la Prusse une allocution menaçante imitée encore de la fable du Loup et de l’agneau, qui paraît être en grande vogue sur les bords de la Sprée. Pendant que ces incidens se passaient, les armemens, au lieu de s’arrêter, se développaient à vue d’œil. La Prusse convoquait le ban, l’arrière-ban. L’Autriche faisait pareillement un appel général. Autour d’elles, on suivait plus ou moins leur exemple. La Germanie est donc hérissée de baïonnettes ; les remparts de ses forteresses sont garnis de canons. Il y a peu de jours, le Times calculait que près de 2 millions d’hommes étaient réunis sous les drapeaux ou au moment de l’être sur le territoire de la confédération ou de ses dépendances. Les armées prussiennes et autrichiennes se sont rapprochées des frontières communes. Elles sont en face l’une de l’autre. Vienne la déclaration de guerre, et la bataille ne se fera pas attendre, la poudre parlera immédiatement ; mais le jour où les hostilités commenceraient serait un jour de deuil en Europe, je ne dis pas assez, un jour où les hommes généreux seraient saisis d’indignation contre les promoteurs de cette perturbation générale.

Ce réveil de l’esprit guerrier et ces préparatifs d’une guerre imminente, c’est un désappointement amer pour les amis du progrès. Ils croyaient et disaient hautement que la paix du monde civilisé se consolidait chaque jour, que la guerre était de plus en plus réputée une barbarie, une folie, la pire de toutes par l’argent qu’elle coûte, par la dévastation qu’elle sème, et surtout par le sang dont elle inonde la terre. On se flattait d’avoir définitivement mis un frein aux passions belliqueuses. Depuis 1848, on avait à peu près partout fait rentrer sous la loi du droit commun et dépouillé de leur ascendant les aristocraties d’origine militaire, qui ne voyaient de noble profession que celle des armes et aimaient la guerre comme leur propre élément. En dernier lieu, l’inauguration du principe de la liberté commerciale avait paru opposer au génie de la guerre un obstacle presque insurmontable. Les esprits raisonnables croyaient que ces liens commerciaux auraient assez de force pour rendre presque impossible la rupture à main armée entre les états. Maîtresses désormais de leurs destinées, les nations, se disait-on, raisonnent et calculent. La solidarité de leurs intérêts réciproques va leur être évidente, car elles en recueilleront les bienfaits à tout instant. Comment donc consentiraient-elles désormais à recourir