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conciliation, et lui avait toujours reproché de ne pas mettre flamberge au vent dès le premier jour contre la révolution et ses principes. M. de Villèle les appelait ses pointus, et dans ses bons jours il se vantait de la sagesse courageuse qu’il mettait à leur résister ; mais quand les rangs s’éclaircirent autour de lui, il fallut compter davantage avec ce groupe impérieux, puissamment enraciné à la cour, dominant le clergé et disposant au jour des élections d’une forte réserve dans la classe peu éclairée de la petite noblesse campagnarde. Ceux-là non plus ne réclamaient pas des places et de l’argent ; ils réclamaient une proclamation éclatante des principes soi-disant religieux et monarchiques qu’ils faisaient un crime à M. de Villèle de tenir sous le boisseau par respect humain. Ils demandèrent et bientôt, se sentant nécessaires, ils exigèrent de véritables professions de foi sous forme de projets de loi. M. de Villèle résista : on insista, et pour le malheur de son nom il eut la faiblesse criminelle de céder.

Ce fut alors qu’on le vit avec plus d’embarras que d’audace produire en public ces déplorables lois du droit d’aînesse et du sacrilège, puérile résurrection de principes déchus dont il comprenait lui-même la vanité et le péril. Au tort d’être un défi jeté au sentiment de l’immense majorité des Français, ces actes inattendus joignaient celui, aussi grand sans doute aux yeux de M. de Villèle, de ruiner toute la tactique savante qu’il avait combinée lui-même, et qui lui avait valu ses succès. Lui qui avait toujours cherché à éluder toutes les questions de principe et à se soustraire ainsi à l’impopularité des siens, c’est lui qui venait maintenant à la dernière heure poser ces mêmes questions devant la France avec autant de retentissement que de scandale ! Il est vrai qu’en mettant les principes en avant il s’efforçait de-ne leur laisser porter aucune conséquence effective. Les deux lois, honteuses d’elles-mêmes, étaient conçues de manière à être aussi inefficaces qu’impraticables. Vaine précaution ! les provocations, pour être impuissantes, ne sont pas moins irritantes ; elles ont alors seulement l’inconvénient de ne pas effrayer ceux qu’elles irritent. Ce fut le sort de ces sottes tentatives. La démocratie française se sentit outragée et non menacée : elle dédaigna l’agresseur tout en repoussant impatiemment l’attaque. Le taureau vit flotter le drapeau rouge et ne sentit point d’aiguillon. Il n’en bondit pas moins tout en rage, et d’un seul de ses mouvemens terrassa son adversaire. Aux élections qui suivirent ces lois funestes, M. de Villèle perdit la majorité et dut cesser d’être ministre.