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Ce n’était pas pourtant, on l’a vu, qu’il manquât lui-même de croyances qui lui fussent chères, ni de principes auxquels il ajoutât foi. On pourrait plutôt dire qu’il en avait trop, surtout pour l’usage qu’il en voulait faire, car ces principes, on les connaît, et nous savons qu’ils formaient un ensemble incompatible avec les institutions qu’il s’était chargé d’appliquer et l’humeur du pays qu’il voulait régir. Par conscience et par point d’honneur, il n’avait garde de les désavouer ; toutefois son bon sens l’avertissait de l’impossibilité de les pratiquer, et dans cet embarras il ne trouvait rien de mieux que d’en ajourner indéfiniment l’application et en attendant de les taire. Le silence était sa seule ressource pour dissimuler l’intervalle qui séparait sa doctrine de ses actes et sa foi de ses œuvres ; mais, pour être en mesure d’observer le silence lui-même, il fallait qu’il l’imposât autour de lui à tout le monde. De là, chez lui, un dépit et un effroi visibles toutes les fois que dans les chambres le débat venait à toucher quelque point de doctrine qui pouvait le mettre dans la nécessité de s’expliquer et dans l’alternative ou de renier les croyances propres à son parti, ou de blesser ouvertement l’opinion commune de la France. Il accourait alors à la tribune pour rappeler la discussion des hauteurs où elle s’égarait et la remettre à terre dès qu’elle prenait son vol. L’éloquence, même employée par ses amis à son service, l’effrayait involontairement ; il craignait toujours qu’il n’en jaillît quelque étincelle qui, tombant sur un baril de poudre, ne déterminât une explosion. Il n’était pleinement à l’aise que les jours où le débat portait sur quelque sujet bien étranger à toute espèce de philosophie politique : une loi de douane ou d’amortissement par exemple. C’étaient là ses heures de béatitude et de triomphe.

Cet éloignement systématique de toute idée comme de tout sentiment élevés, cette déchéance, cette dégradation volontaire, finirent par donner à la politique de M. de Villèle une apparence subalterne et médiocre qui, une fois reconnue, ne lui fut pas pardonnée par la France. Si la politique de M. de Serre avait été trop éthérée, celle de M. de Villèle ne tarda pas à paraître à son tour trop matérielle. Si les axiomes de Royer-CoIIard sentaient l’école et ses abstractions, les calculs dans lesquels se complaisait M. de Villèle sentaient la boutique ou la banque. Les derniers à s’apercevoir et à souffrir de cet abaissement ne furent pas les royalistes. S’il était un titre de gloire en effet auquel ce parti attachât un prix particulier, c’était d’être par excellence le parti de la délicatesse et de l’honneur : noble prétention très souvent justifiée, et l’unique tort des royalistes est d’avoir voulu en faire un monopole. Par tradition de famille, tous les royalistes se piquaient d’être sensibles à toute espèce d’élégance de sentimens comme de manières. Or ils