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Tel fut le succès de cette œuvre politique vraiment digne du souvenir de la postérité, qui, déjà commencée pour M. de Villèle, en goûte encore le bienfait. Quelles qu’aient été depuis lors nos dissensions civiles, elles n’ont jamais repris, grâce à Dieu, le caractère d’âpreté personnelle et de haines acharnées qui leur fut enlevée ce jour-là. D’où vient pourtant que, si ce bienfait a été durable en lui-même, il n’a pas communiqué sa durée au gouvernement qui eut le mérite de l’inaugurer ? D’où vient que l’existence ministérielle de M. de Villèle et celle de la restauration tout entière en ont si peu profité ? Quelle faiblesse cachée a compromis les avantages de cette sage ligne de conduite ? Hélas ! comme il arrive souvent, la chute vint ici des mêmes causes que le succès, et M. de Villèle était destiné à périr par les conditions mêmes qui l’avaient fait momentanément triompher.

Nous venons de voir que l’art déployé par M. de Villèle avait consisté principalement à faire diversion aux questions de principes qui divisaient la France en procurant adroitement des satisfactions à tous les intérêts matériels. Quitter les idées qui les mettaient aux prises pour s’attacher aux intérêts sur lesquels ils pouvaient s’entendre, ce fut la direction dans laquelle il poussa tous les Français. Le moyen n’était pas absolument nouveau, et avant M. de Villèle, aussi bien qu’après lui, il a été plus d’une fois employé par les hommes d’état comme un utile expédient pour mettre au repos une nation fatiguée par des dissensions intestines. Il est certain que les querelles de principes, quand elles ont duré longtemps, dégénèrent souvent en querelles de mots, et que ces mots, devenus le cri de guerre de factions rivales, engendrent encore des haines même après qu’ils ont cessé de présenter une signification nette. Quand une confusion de ce genre s’est répandue dans un pays, il peut être utile, pour l’éclaircissement des principes eux-mêmes, de faire trêve à des discussions d’où la lumière ne peut plus sortir et de rappeler les esprits à des préoccupations d’un autre ordre pour leur donner le temps de se calmer et en quelque sorte de se rafraîchir. La poursuite des avantages matériels joue alors pour une nation le rôle de ces salutaires exercices du corps qu’un médecin conseille aux malades épuisés par la contention excessive de l’intelligence ou par des émotions orageuses.

Mais si c’est là une trêve utile, ce n’est pourtant qu’une trêve : la paix, la vraie paix sociale, s’achète à d’autres conditions. Ce n’est point en éludant, en ajournant les questions qui pèsent sur une société, c’est au contraire en les abordant de front pour les résoudre qu’on peut conquérir et consolider ce bien précieux. Quand ces problèmes surtout sont de la taille de ceux que M. de Villèle trouvait soulevés autour de lui, quand il ne s’agit de rien moins que de