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modernes, et, disons tout, il avait trop bien profité du présent pour regretter beaucoup le passé et être très empressé de le faire renaître. M. de Villèle désirer une contre-révolution ! mais pourquoi, de grâce, voulez-vous qu’il y songe ? quel profit en retirerait-il pour sa cause ou pour sa personne ? Le voilà premier ministre, maître d’une majorité toute-puissante et d’une administration tout obéissante : quelle meilleure combinaison que celle-là dans l’intérêt monarchique l’ancien régime ressuscité pourrait-il mettre à la disposition de la royauté ? Et lui-même, M. de Villèle, que gagnerait-il à cette résurrection ? Est-il bien sûr qu’il eût été ministre sous l’ancien régime ? L’aurait-on reçu et même connu à Versailles, lui pauvre gentilhomme de province, cousin de M. de Pourceaugnac et de Mme d’Escarbagnas, humble membre d’une modeste classe éternellement sacrifiée aux railleries des marquis de Molière ? En réalité, si quelqu’un a profité sans le vouloir de l’ordre de choses créé par la révolution, c’est M. de Villèle. Ce sont deux grandes institutions modernes, la liberté et l’égalité, qui sont venues le chercher dans sa retraite pour forcer tout le monde, même le roi, à rendre justice à son mérite. Sans les glorifier absolument pour cela, M. de Villèle au fond de l’âme ne peut pas beaucoup leur en vouloir, car il n’est nullement sûr que l’intrigue et la faveur, ces maîtresses capricieuses des cours, eussent été pour lui si généreuses. J’ai entendu raconter au sujet non de M. de Villèle lui-même, mais d’un de ses collègues dont la situation était assez semblable à la sienne, une petite anecdote dont je ne garantis pas l’authenticité, mais qui vient ici tout à point. On m’a dit que ce ministre, d’extraction tout à fait bourgeoise, avait une vieille mère qui n’avait jamais voulu quitter sa province ni ses modestes habitudes. Le roi un jour lui fit faire compliment sur les services que son fils rendait à la bonne cause. « Le roi est bien bon, dit la digne femme, mais on a beau dire, je ne croirai pas que la révolution va finir tant que Jacques sera ministre. » La bonne vieille avait raison : puisque l’héritier de Louis XIV en était réduit à apprécier les services de Jacques, c’est que la révolution durait toujours ; mais ce n’était pas une raison pour que Jacques lui-même et ses pareils, tout en continuant à maudire des lèvres la révolution, fussent très pressés d’en effacer toutes les traces. Non, quoi qu’on puisse dire, quand on s’est élevé par le noble effort de la volonté et du talent, on ne regrettera jamais sincèrement le pouvoir absolu et le privilège. Quand on a été de taille à conquérir sa place au soleil, on ne peut regretter l’atmosphère factice des serres qui ménage les tempéramens faibles, ni la lumière des bougies qui fait briller les couleurs fardées.

Concluons que par toutes ces raisons, bonnes ou mauvaises, désintéressées et égoïstes, M. de Villèle n’apportait au pouvoir aucune