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plus, il l’exploite, s’il le peut, à son profit. Or M. de Villèle était doué d’un grand instinct de sagesse et d’une habileté plus grande encore ; c’était un vrai fils de Gascogne pourvu de toutes les finesses d’esprit qui font la renommée du terroir. Trouvant en vigueur dans sa patrie des institutions dont le caractère général lui paraissait vicieux, mais qu’il n’avait point créées et qu’il ne pouvait changer à son gré, au lieu de se borner à les excommunier en masse, il ne se fit aucun scrupule d’en étudier en détail le mécanisme. Il voulut apprendre à manier lui-même ces armes périlleuses, et cette expérience lui fît découvrir qu’en les manœuvrant avec adresse il pouvait en tirer soit pour sa cause, soit pour son avantage personnel, un parti inattendu. Une telle découverte ne pouvait manquer de radoucir insensiblement M. de Villèle en faveur d’un ordre de choses qui, pris en soi, ne cessait pas de lui paraître répréhensible, mais qui, adroitement ménagé, pouvait être tourné au bien. Ainsi s’était opérée dans l’esprit de M. de Villèle une sorte de réconciliation tacite, sinon avec le principe abstrait, au moins avec les résultats pratiques de la société moderne. Ce ne fut point une adhésion éclatante comme celle dont M. de Serre avait fait retentir la tribune, ce fut au contraire un rapprochement à petit bruit et à petits pas dont il ne convint jamais tout haut, dont il ne se rendit peut-être jamais bien compte, mais dont il recueillit promptement les fruits et dont il essaya de faire discrètement partager les avantages à la royauté et à ses amis.

C’était, par exemple, une transition insensible de ce genre qui avait fini par faire naître chez M. de Villèle un attachement un peu intéressé, mais très sincère, j’en suis convaincu, pour le régime constitutionnel fondé par la charte. Au premier moment, il en faut bien convenir, cette forme de gouvernement était trop bruyante et trop populaire pour son goût. Le partage du pouvoir suprême avec les assemblées n’avait jamais fait partie de son catéchisme politique, et il y voyait un attentat à la prérogative royale. La chambre héréditaire elle-même ne trouvait pas grâce devant lui : il lui reprochait de mutiler l’aristocratie sous prétexte de lui rendre hommage et de dépouiller la noblesse de France au profit de deux cents familles qui n’étaient même pas toutes de bonne naissance. Ses scrupules à cet égard avaient été si vifs que, sans respect pour la suscription royale, il les avait exprimés tout haut dans une brochure signée de son nom (alors inconnu), que M. Duvergier de Hauranne nous a rendu le service de déterrer. Cependant, le roi et la France ayant passé outre à la protestation, M. de Villèle n’avait eu garde de s’entêter dans des récriminations superflues. Appelé à siéger dans la chambre élective, il ne lui avait pas fallu trois mois pour s’apercevoir de l’empire que peut prendre sur une