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c’est à nous de réparer l’ingratitude de nos devanciers. Notre cause n’a pas trop d’ancêtres : ne souffrons pas que la poussière de l’oubli vienne décolorer leurs images. Après, tout, la plus grande part de cette noble existence nous appartient, et par un hasard heureux sa dernière recommandation fut à notre adresse. La collection des discours de M. de Serre se termine par une défense qu’on ne saurait trop relire de la plus importante peut-être des garanties libérales, la juridiction du jury en matière de presse. Ce sont de simples réflexions tracées d’une main déjà affaiblie, qui ne furent ni prononcées ni même rédigées, et qui durent être portées à la tribune par une voix amie. Qui ne reconnaîtrait pourtant la touche du maître dans des lignes gravées en airain comme celles-ci : « le gouvernement constitutionnel, comme tout gouvernement libre, présente et doit présenter un état de lutte permanent. La liberté est la perpétuité de la lutte. » Ces fortes paroles sont presque les dernières de la dernière page. On dirait qu’elles ont été placées là à dessein par M. de Serre lui-même comme une épitaphe préparée pour sa tombe, tant elles résument exactement l’histoire d’une vie qui fut consacrée à la liberté et consumée par la lutte. S’il parlait ainsi de la liberté possédée, qu’aurait-il dit de la liberté à conquérir ? Quelles fatigues et quels combats n’eût-il point acceptés pour elle ? Gardons cette valeureuse définition de la liberté dans notre mémoire, et qu’elle vienne fortifier notre âme quand nous fléchissons sous le poids des épreuves ou des dégoûts que la jalouse divinité impose à ceux qui veulent ravir ou garder ses faveurs !


III

Le jour où M. de Serre sortit du ministère, et par la porte qu’il laissait ouverte, M. de Villèle y entra. Il y entra, après sept ans d’une opposition continue faite au système de modération politique dont M. de Serre avait été le brillant organe. Il y entra comme le chef avoué du parti monarchique exalté. Aussi, en lisant son nom au Moniteur, la France entière crut que cette fois le revirement était complet dans les conseils de la restauration, que le drapeau de la contre-révolution était levé, et qu’aux essais avortés de conciliation allait succéder une guerre à outrance d’une des fractions de la nation contre l’autre. Il n’en était rien : le changement fut grand en effet, mais tout autre qu’on ne l’imaginait. Le but poursuivi par M. de Villèle resta le même que s’était proposé M. de Serre, la pacification de la France. Les moyens seuls différèrent, comme le caractère des deux hommes.

J’ai expliqué d’avance en quoi consista cette différence de moyens, et j’ai essayé de la mettre en relief par deux formules que je