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restera confondu de la netteté du principe qui domine la loi tout entière et de la vigueur avec laquelle toutes les déductions en sont tirées. Ce principe fécond est celui-ci : c’est qu’il n’y a point, à proprement parler, de délit de presse, que la presse est un instrument comme un autre, pouvant servir aux bons comme aux mauvais desseins de l’homme, et qui ne devient punissable que quand le but auquel on l’emploie tombe lui-même sous le coup de la législation pénale. De là la conséquence qu’il est permis de dire tout ce qu’il est licite de croire ou de penser, de conseiller tout ce qu’il est permis de faire, de discuter tout ce qu’il est permis de modifier, et surtout de blâmer tout ce qui doit être puni : conséquence qui mène plus loin qu’on ne le pense, mais que M. de Serre suivit partout où elle le mena. C’est ainsi qu’il fut conduit à réclamer pour la presse non-seulement le droit de critiquer les actes des ministres responsables, mais même la faculté de dénoncer jour par jour tous les méfaits des fonctionnaires publics, sous la seule condition de justifier, preuves en main, la vérité de ses assertions devant la justice nationale du jury. Jamais plus franc et plus fier hommage ne fut rendu par le dépositaire d’un grand pouvoir à cette publicité salutaire qu’il appelait lui-même l’âme et la vie du gouvernement représentatif. Que nous voilà loin de toutes les garanties administratives, recours au conseil d’état, article 75 de la constitution de l’an VIII, etc., barrières infranchissables, mais transparentes, qui dérobent depuis tant d’années nos fonctionnaires publics à la justice du pays sans les soustraire aux sévérités de l’opinion ! Cette témérité n’est pas la seule qu’on rencontre chez M. de Serre. A tout moment, des lèvres de cet ancien émigré tombe quelque proposition de ce genre, qui, si elle était publiquement mise en avant aujourd’hui, ferait tressaillir beaucoup de nos démocrates émérites sur les chaises curules où ils aiment à dormir, gravement enveloppés dans le manteau des principes de 1789 !

Si le fond ne manque pas de hardiesse, ce n’est ni l’éclat ni la vigueur qui manquent à la forme. Encore aujourd’hui, après les triomphes oratoires auxquels notre génération a eu le bonheur d’assister, après les Guizot, les Thiers, les Berryer, tout apprenti parlementaire qui voudra se former dans l’art de bien dire devra compter les discours de M. de Serre parmi les conciones français qu’il ne peut se dispenser d’étudier. Il y a là une qualité d’éloquence qui n’a point été surpassée. Jamais souffle plus puissant n’entraîna une plus puissante déduction logique. Sur un dessin net et nerveux se détachent à tout instant des traits imprévus et saisissans visiblement trouvés sur place. Quelle image par exemple que celle-ci que je rencontre en feuilletant le volume au hasard ! Il s’agit de justifier contre je ne sais quelle attaque l’existence d’une inégalité de droits