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laissant au fond du creuset leurs prétentions exclusives et leurs intérêts égoïstes, et dans cette combinaison épurée la nouvelle école pouvait prétendre à réunir tous les royalistes qui n’étaient pas seulement des courtisans, tous les libéraux qui n’étaient pas des factieux, tous les dévots non fanatiques et tous les libres penseurs qui ne voulaient pas être confondus avec des impies.

Malheureusement ces diverses catégories de gens de bien eussent-elles toutes fait écho à son appel, elles n’auraient pas encore suffi pour lui assurer une majorité ni dans la France entière ni même dans leurs partis respectifs. Petit en effet est dans toutes les luttes politiques le nombre de ceux qui s’y engagent sans arrière-pensée personnelle ; moins nombreux encore sont ceux qui, entrés dans l’arène avec une vertu si rare, l’y conservent longtemps à l’abri de tout mélange, presque nuls enfin ceux qui savent rendre justice à la conviction opposée. Dans tous les partis du monde, les exagérés et les intéressés dominent. Ceux-là devaient être ligués d’avance contre toute transaction quelle qu’elle fût, mais surtout contre celle qui ne s’adressait qu’à des sentimens de l’ordre le plus élevé, et encore pour leur imposer des tempéramens réciproques. Il est assez d’usage dans tous les procès que les arbitres se brouillent avec les deux plaideurs. Il était à craindre qu’il n’en fût de même dans ce grand litige social, et qu’attaqué par la masse des deux armées, sans être suffisamment défendu par l’élite, le plan de pacification ne procurât à personne moins de paix qu’à ses auteurs.

Ce fut en effet ce qui arriva. M. de Serre fut le premier à en faire la rude épreuve. Devenu de bonne heure l’adepte de la doctrine systématisée par Royer-Collard, il en fut bientôt par son talent le plus éclatant défenseur ; mais le caractère même de ce talent n’était fait pour lui épargner aucune des amertumes d’un tel rôle. Figurez-vous un homme d’un esprit assez élevé et d’une âme assez chaleureuse pour embrasser avec une égale intelligence et un égal amour toutes les faces de cette doctrine composite, — un homme tenant par les accidens de sa destinée à la fois de l’ancien régime et du nouveau, — un royaliste de naissance ayant conservé dans le cœur une religion monarchique intacte, héritier d’une petite noblesse et soigneux d’en garder la tradition, — un fils de ses œuvres pourtant qui avait eu besoin de faire son chemin lui-même, et pouvait apprécier par expérience le bienfait de la révolution sociale, — un serviteur du roi prêt à mourir au pied de son trône, mais trop fier pour vouloir entrer dans ses conseils autrement que par le droit du mérite et comme le représentant d’une nation libre, — un bon chrétien aussi, mais aimant surtout dans l’Évangile l’hommage qu’il rend aux droits de la conscience et détestant l’intolérance, qui en est l’injurieuse négation. Puis à ce cœur ainsi fait, tout