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collectif de tout un peuple. Seulement ce n’est qu’un hommage, et il n’engage que l’être collectif lui-même. Nulle menace, nulle faveur ne l’appuie, nul individu n’est ni tenté ni contraint de s’y associer hypocritement contre le vœu de sa foi personnelle, et la pensée peut rester libre sans que la loi cesse d’être chrétienne.

Quand ces idées sortaient du cabinet de Royer-Collard fortement concentrées en quelques maximes d’une précision philosophique et éclairées par les lueurs d’une imagination sévère, quand elles tombaient de la tribune accentuées par une voix qui avait quelque chose de l’autorité sacerdotale, elles formaient un majestueux ensemble auquel ne manquaient ni la puissance, ni la clarté, ni la grandeur, et la merveille de faire sortir l’unité d’élémens contradictoires semblait opérée par enchantement. De vieux praticiens pouvaient bien soupçonner que la faiblesse de la théorie consistait précisément dans sa rigueur artificielle, qui serait promptement déjouée par le spectacle confus et complexe que présente d’ordinaire la politique. Ils pouvaient y trouver l’indice d’un esprit abstrait qui ne saurait pas se prêter avec assez d’élasticité et de souplesse soit au caprice des événemens, soit au jeu des passions humaines. Ils pouvaient prévoir que l’équilibre établi avec tant de peine entre des forces contraires serait instable de sa nature, et que la balance chargée de poids plus inégaux qu’on ne pensait se verrait exposée à trébucher, même pour de légers ébranlemens. Ils pouvaient penser surtout que vouloir contenir l’irrésistible progrès de la démocratie par la combinaison d’une monarchie nominale et d’une aristocratie idéale, c’était tendre une corde sur la rive pour arrêter la marée montante ; mais si la doctrine péchait par certains points aux yeux de la sagesse pratique, personne au moins n’était en droit de contester la générosité des sentimens dont elle portait l’empreinte. Rien de plus noble que cet appel adressé dans les rangs les plus opposés à tout ce qui pouvait s’y rencontrer de désirs de bien public et d’aspirations désintéressées. Le drapeau levé par la nouvelle école était formé peut-être de tissus et de couleurs un peu disparates, mais chaque bande au moins en était sans tache. C’était une cause que pouvaient servir en commun le gentilhomme sans manquer aux traditions de sa race et l’enfant du tiers-état sans déchirer la déclaration des droits de l’homme, sous la seule condition de renoncer, l’un à un sot orgueil, et l’autre à une jalousie mesquine. La ferveur de la fidélité monarchique y trouvait place à côté du plus fier amour des libertés publiques. Le croyant gardait sa foi, sauf à y joindre la tolérance ; le philosophe, dispensé de l’hypocrisie, n’était tenu qu’à ne pas outrager le culte de ses concitoyens et de ses pères. Il semblait, en un mot, qu’on se fût proposé de faire un extrait raffiné des meilleurs mobiles de chaque parti en