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l’indépendance de la pensée. Tous ces élémens, toutes ces impulsions contraires s’y rencontrent non pour se heurter ou se confondre, mais pour se voir systématiquement rangés et fortement tenus en bride, puis astreints à prendre le pas dans l’ordre régulier d’une procession hiérarchique. En tête marche la royauté, le front ceint d’un diadème que Dieu y a placé lui-même, que les siècles y ont affermi, et qu’aucune main humaine n’est en droit de lui enlever. La légitimité royale fait partie de cette foi doctrinaire des premiers jours, la seule que M. de Serre ait jamais professée ; mais à la suite et à l’entour de cette monarchie immuable sont groupés les représentans de la nation, investis par un partage une fois consommé et irrévocable de l’exercice du pouvoir, dont la nue propriété seule réside dans les mains du roi. Un ministère nommé par le roi, mais issu du parlement, dirige en réalité, sous sa responsabilité personnelle, tout l’usage de la prérogative royale. Voilà la part de la souveraineté nationale ; elle est grande et ne laisse à la royauté que le rôle d’un pivot immobile autour duquel tourne l’opinion publique et qui en régularise le mouvement. Ces chambres elles-mêmes, de qui part toute l’impulsion de la politique, diffèrent dans leur mode de composition parce qu’elles représentent des intérêts divers qui sont toujours en présence, souvent aux prises dans une grande société, et doivent pour la paix publique être tenus en balance. L’une d’entre elles est élective : c’est l’expression directe du vœu populaire. L’autre est héréditaire, mais c’est la nature plus que la loi qui la fait ainsi, car elle renferme dans son sein tous les privilégiés naturels qui héritent de leurs aïeux la richesse avec la renommée. L’esprit de stabilité, qui attache ces heureux de la terre à l’ordre social qui les favorise, en fait les défenseurs nés de la paix publique, et du moment que leur supériorité existe, il vaut mieux que le bonheur de quelques-uns, au lieu de rester une stérile exception, tourne au profit de tous. — Artifice admirable, s’écrie quelque part Royer-Collard, qui fait passer le privilège vaincu de la société qu’il opprimait dans le gouvernement qu’il affermit ! — A part ce reste de privilège qu’excuse l’intérêt social, l’égalité règne partout, égalité dans les charges comme dans les droits, devant la loi, qui répartit les impôts, comme devant l’administration, qui dispense les emplois publics. La démocratie (c’est encore Royer-Collard qui parle) coule à pleins bords, mais l’aristocratie conserve un roc qu’entoure une digue. Un artifice pareil est imaginé pour accorder le droit de Dieu sur les sociétés qu’il a créées avec le droit de la conscience humaine sur elle-même. Une religion d’état subsiste, c’est la foi chrétienne, la mère de la civilisation et de la France ; c’est le culte officiel de la patrie, c’est l’objet de l’hommage