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refuser au petit bataillon de ses fidèles, la restauration n’avait qu’une ressource pour sortir d’embarras : c’était d’opérer un partage qui consolât les siens de leur longue attente sans jeter l’alarme dans les rangs bien autrement serrés et formidables de ses anciens adversaires.

Une transaction était donc nécessaire à la restauration pour acquitter ses obligations personnelles sans compromettre les intérêts généraux de la France, pour solder ses dettes sans manquer à ses devoirs. Ce n’est pas assez toutefois qu’une chose soit nécessaire, encore faut-il qu’elle soit possible. Or cette transaction, comment l’opérer entre des gens qui sur rien ne pensaient, ne sentaient et ne voulaient de même ? Quelque difficile que fût l’entreprise, il y avait, ce semble, deux manières, sinon de l’accomplir, au moins de l’aborder : l’on pouvait s’y prendre de deux façons et comme par deux bouts différens. Les partis opposés étaient séparés par une dissidence d’idées et par un antagonisme d’intérêts. Ils différaient de croyance, ils se disputaient la puissance. Les consciences et les convictions étaient en lutte ; les appétits et les prétentions ne l’étaient pas moins. Deux doctrines d’abord étaient inscrites sur les drapeaux : d’une part, le vieux droit religieux et monarchique avec son cortège de légitimité royale, de privilèges nobiliaires et d’intolérance ecclésiastique, de l’autre le droit nouveau de la souveraineté nationale appuyé sur l’égalité civile et la liberté religieuse ; mais derrière ce débat doctrinal un autre se poursuivait entre des champions en chair et en os, se battant pour un objet beaucoup moins métaphysique. C’étaient des possesseurs spoliés d’anciens fiefs qui voulaient les reprendre et des propriétaires précaires de biens nationaux qui voulaient les conserver. C’étaient des prétendans héréditaires qui réclamaient en vertu d’un droit de naissance des charges de cour ou d’armée ; c’étaient des fonctionnaires, des militaires, des magistrats de tout ordre ayant conquis leurs grades à la sueur de leur front et qui tenaient à ne pas s’en dessaisir. Le différend étant ainsi matériel autant que moral, et, pour parler le langage de l’école, abstrait en même temps que concret, on pouvait tenter de le résoudre par la théorie ou par la pratique. Dans le credo politique de chaque parti, on pouvait essayer de faire la part du vrai et du faux, et au-dessus des exagérations contraires de découvrir une formule plus haute et plus large qui mît d’accord les doctrines en les tempérant l’une par l’autre, ou bien, par un procédé moins ambitieux, on pouvait simplement tenter de faire entre les prétendans une répartition équitable soit de justice, soit de faveur, qui indemnisât les uns de leurs pertes, sans troubler les autres dans leurs jouissances acquises. On pouvait en un mot se proposer de concilier les principes ou se contenter d’accommoder les intérêts. La