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mais cette pacification extérieure, eût-elle été pleinement obtenue, n’aurait pas suffi, car un gouvernement est quelque chose de plus qu’une police, et tout son métier ne consiste pas à empêcher les gens de se battre dans les rues. Ce n’était pas assez de soumettre ces combattans d’hier à la même loi, il fallait les associer à la même tâche, les faire asseoir dans les mêmes assemblées, leur donner entrée dans les mêmes conseils pour participer de concert à la direction de leurs affaires communes, et, en les répandant dans les postes de la même administration, maintenir entre eux la solidarité d’action et l’échange régulier de commandement et d’obéissance d’où résulte l’unité morale d’un gouvernement.

A vrai dire, ce partage du pouvoir entre les classes rivales dont l’hostilité venait de déchirer la France eût été un résultat souhaité par tous les hommes d’état dignes de ce nom, quelles que fussent leur dénomination et leur origine. Ce genre de transaction amiable dont Henri IV a donné un impérissable modèle est à coup sûr la meilleure ou, si l’on veut, la moins fâcheuse manière de terminer les troubles civils : c’est la seule qui conserve à un grand pays l’intégrité de ses forces en lui restituant le concours de tous ses bons citoyens. L’autre procédé, celui qui consiste à réserver le triomphe tout entier à l’un des adversaires en l’élevant sur l’anéantissement de l’autre, n’est du goût que des fanatiques. Un médecin qui connaît son métier tentera toujours de guérir une fracture en rapprochant les membres disjoints avant de recourir au remède extrême de l’amputation : il sait bien que toute mutilation, si petite soit-elle, est suivie d’une fièvre qui peut enflammer l’organisme entier. La politique de conciliation, qui eût été pour les hommes d’état de tous les régimes un conseil du patriotisme, était pour la monarchie restaurée une impérieuse nécessité et l’unique moyen de concilier le soin de sa sécurité avec les engagemens de son honneur ; car des deux partis qu’elle trouvait en présence il y en avait un qui était le sien propre, celui qui l’avait suivie en exil et qui en revenait avec elle, qui trente années durant avait pour elle sacrifié ses biens et versé son sang. Elle n’aurait pu sans excès d’ingratitude refuser d’associer au retour de sa bonne fortune les compagnons de ses mauvais jours. Et pourtant ce parti était en même temps le plus faible en popularité comme en nombre, et son infériorité était telle et si manifeste qu’elle n’aurait pas pu davantage sans un excès de déraison songer à lui livrer la domination tout entière. Les anciens émigrés étant au reste des Français dans une proportion d’un sur mille ou moindre encore, aucun homme sensé ne pouvait proposer de déshériter la masse entière du pays au profit d’une de ses plus petites fractions. C’eût été courir au-devant d’une réaction aussi violente que certaine. Ne pouvant ainsi ni tout donner ni tout