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libéraux de M. de Villèle des réserves que nous justifierons tout à l’heure, il n’est que juste de convenir que M. de Villèle disposa six ans d’une grande force sans qu’aucune atteinte ait été portée par lui au contrat qui liait la dynastie à la France, et lorsque enfin la royauté eut la funeste idée de rompre la trêve, elle dut chercher, pour lui rendre ce triste service, des mains moins adroites ou moins réservées que les siennes.

Mais ces deux points une fois accordés, il faut en rester là en fait de rapprochement, et cette double fidélité à la royauté et à la constitution épuise à peu près tous les rapports qu’on peut trouver entre les deux caractères. Sur la manière de faire vivre ensemble les objets de leur respect commun, de servir ce roi et de pratiquer cette charte, jamais hommes n’ont plus différé de convictions comme de conduite. L’identité de leur point de départ et l’analogie de leurs sentimens rendent cette divergence plus sensible. Précisément parce qu’ils ont été placés un jour sur la même ligne, ils ont dû voir apparaître sous le même aspect le problème fondamental dont dépendait l’existence de la restauration, et c’est après l’avoir mesuré sous le même angle qu’ils se sont engagés pour en chercher la solution dans des voies très opposées.

Ce problème, qui ne le connaît ? C’est celui que laissent après elles toutes les luttes civiles, mais la pointe n’en fut jamais peut-être plus acérée. La révolution de 1789 léguait à la monarchie rétablie une France divisée en deux classes, en deux castes, pourquoi ne pas dire en deux nations ennemies, enflammées l’une contre l’autre par tout ce qui peut irriter les hommes, par tous les genres de griefs, du plus futile jusqu’au plus sacré, depuis ceux dont s’aigrit la vanité jusqu’à ceux qui troublent et soulèvent les profondeurs de la conscience : des fils de paysans affranchis et des fils de gentilshommes proscrits, ulcérés, ceux-ci par l’affront d’une humiliation séculaire, ceux-là par l’attentat d’une spoliation récente, et pleins également du sentiment de leurs droits et du ressentiment de leur injure. Des deux parts, l’inimitié était envenimée par un dédain réciproque, cent fois plus injurieux que la haine, qu’entretenaient chez les anciens nobles le préjugé de la naissance, chez les enfans émancipés de la France nouvelle la confiance d’une immense supériorité numérique. Entre ces élémens en apparence irréconciliables et réfractaires à toute fusion, la restauration avait pour tâche non-seulement de faire régner la paix matérielle, mais d’établir un concours durable et sincère dans l’œuvre délicate de fonder un établissement politique. Maintenir sans bruit côte à côte des : voisins si peu faits pour s’entendre n’était déjà pas chose aisée, surtout quand le premier objet de leur dispute était souvent la propriété de la parcelle même du sol qu’ils foulaient aux pieds ;