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d’apprécier leurs services. Toujours est-il que, représentant un principe très exclusif, la restauration eut en général la chance singulière d’être servie par des instrumens qui ne pouvaient se piquer d’avoir porté dans leur dévouement le même esprit d’exclusion. Tel ne fut le cas ni de M. de Serre ni de M. de Villèle ; chez eux, le dévouement à la légitimité fut non pas une acquisition de fraîche date, mais un héritage conservé intact au prix de longs sacrifices. Nés la veille de la révolution, dans les rangs de cette modeste noblesse de province qui vivait loin du soleil de la cour comme des orages de la capitale, et chez qui l’attachement monarchique n’était mêlé ni d’esprit d’intrigue ni d’espoir de faveur, quand est venu le divorce de la royauté et de la France, ils ont pris naïvement et résolument parti pour la royauté. M. de Serre a émigré et servi dans l’armée de Condé ; M. de Villèle s’est laissé languir dans l’obscurité d’une ville de province. Pour tous deux, la foi royaliste n’est ni un froid assentiment de la raison, ni un produit de l’expérience, c’est un instinct de la race et un mouvement du sang.

Dévoués tous deux dès le premier jour à la royauté, tous deux ont été jusqu’au dernier fidèles à la constitution qu’ils avaient jurée. Pour M. de Serre, c’est là une qualité bonne ou mauvaise, c’est un mérite ou un démérite que personne ne lui contestera. Sa vie entière en fait foi et presque aussi sa mort, encourue par la fatigue des luttes constitutionnelles et sous le harnois parlementaire. Du vivant de M. de Villèle, la même appréciation à son égard aurait soulevé plus d’une difficulté, car, dans la langue exagérée des partis, M. de Villèle a été plus d’une fois qualifié de ministre inconstitutionnel, conspirant d’intention, sinon de fait, contre le pacte des libertés publiques, et à qui l’audace seule manquait pour l’enfreindre ouvertement ; mais le temps, qui instruit les hommes habituellement à leurs dépens, a fait justice de ces hyperboles. Depuis que M. de Villèle a quitté la scène, nous avons vu des coups d’état de plus d’une sorte tentés ou accomplis, heureux ou manqués ; nous savons ce que c’est que des constitutions violées et des libertés détruites. Ces comparaisons nous ont rendus plus équitables ou moins difficiles. Et quand M. Duvergier de Hauranne nous montre M. de Villèle, à la tête d’une majorité très dévouée, ne refusant jamais de répondre aux interpellations de l’opposition, daignant poursuivre ses adversaires devant les tribunaux et laissant publier dans les journaux les plaidoyers de leurs avocats, la génération nouvelle, peu accoutumée à ces politesses de la part des gens en puissance, ne comprend plus rien aux soupçons de sa devancière. Peu s’en faut qu’elle ne considère M. de Villèle comme un parlementaire aussi puritain que M. Duvergier de Hauranne lui-même. Sans aller aussi loin, et en faisant sur la nature des sentimens