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nuit, l’homme et l’étrange animal se détachent en tons plus clairs et forment avec le fond une harmonie sombre qui n’est pas sans grandeur ; le dessin du dromadaire est excellent et prouve une longue et minutieuse étude du sujet. Je voudrais plus de légèreté dans la touche ; on dirait que M. Berchère a dans la main je ne sais quelle pesanteur native dont il a bien du mal à se débarrasser. Ce défaut, car c’en est un, apparaît surtout dans la façon dont les premiers plans sont traités. Quel est ce terrain ? Est-ce du sable ? est-ce de l’argile ? est-ce de la terre végétale ? On n’en sait rien, et cependant il est important de le montrer et de le faire comprendre. La bonne volonté de M. Berchère n’est point douteuse, et je suis convaincu que ses efforts vers le mieux sont sincères ; je crois qu’il aura fait un grand pas le jour où sa brosse, plus aisée et moins lourde, rendra exactement ce que l’œil a retenu. Il faut remarquer cependant que M. Berchère a triomphé des difficultés pittoresques qu’offre toujours un effet de nuit. J’en dirai autant de M. Pasini, dont le Courrier endormi dans les solitudes de la Perse n’est certes pas l’œuvre du premier venu. Le ciel sans limites, déjà blanchi à l’horizon par les premières pâleurs de l’aube, se courbe au-dessus d’une des vastes plaines désertes et inhospitalières de la Perse. Un courrier (nous dirions plus justement un piéton) s’est de lassitude couché sur la terre nue ; il dort profondément, aplati, pour ainsi dire, sous le double poids de la fatigue et du sommeil ; un de ses bras est étendu à portée de son bâton ferré, l’autre repose sur sa poitrine ; une souquenille blanchâtre serrée d’une ceinture en cuir passementée de parchemin couvre son corps maigre et vigoureux ; autour de sa jambe, une mèche enroulée descend jusqu’à son pied, passe entre les orteils et brûle. Au moment où il sentira la douleur, c’est que l’heure du départ aura sonné ; il éteindra ce réveille-matin d’une espèce nouvelle, se relèvera, ramassera son bâton et reprendra sa route. La scène, peu compliquée du reste, est très bien rendue. L’homme est parfaitement dessiné, et son affaissement est visible ; l’harmonie générale rend bien la limpidité implacable des atmosphères d’Orient, qui rapprochent les horizons les plus reculés et que nulle humidité n’appesantit. M. Pasini a la spécialité de la Perse ; il doit y avoir vécu, car il paraît la connaître comme une seconde patrie. Il faut constater qu’elle l’a bien inspiré ; depuis quelque temps, il est en progrès manifeste : sa facture s’est serrée et a heureusement perdu cette touche martelée et désunie qu’elle affectait autrefois.

Ce n’est ni à la Nubie, comme M. Berchère, ni à la Perse, comme M. Pasini, que M. Schutzenberger a demandé le motif de son tableau ; c’est au pays des fables, à cette patrie connue des poètes où