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accetosa, la Vue du rocher des Nazons ne lui cède en rien et lui servirait au besoin de pendant. On peut reprocher à M. Lanoue d’avoir martelé son ciel et d’avoir un peu trop maçonné sa pâte ; mais, ces réserves faites, nous ne pouvons que louer, et dans les termes les plus sincères, l’aspect magistral et grandiose de sa composition. C’est la nature, mais avec sa couleur la plus riche et la moins superficielle, avec toute l’amplitude et toute la noblesse de ses lignes. C’est bien simple cependant, une mare, une prairie que traverse une route et qui s’appuie à une montagne ; mais l’air qui circule librement, la pureté des contours, la chaleur du coloris, donnent à cette toile une valeur précieuse. En la regardant, en la comparant avec la plupart des paysages faciles qui se font aujourd’hui, on reconnaît que M. Lanoue a été nourri de fortes études, que son éducation d’artiste a été lente, pénible, sévère, qu’il n’est arrivé à de si bons résultats qu’à force de travail et de volonté, et qu’il a eu plus d’un combat à soutenir avant de sortir vainqueur de la lutte qu’il avait engagée ; Qu’il ne se plaigne pas ! la récompense a été tardive, mais enfin elle est venue, et il n’y a pas à regretter les efforts du temps passé ; M. Lanoue me semble, depuis quelques années, avoir dépouillé tout ce qui lui restait du vieil homme et marcher maintenant dans une voie excellente ; je ne saurais trop l’encourager à y rester toujours.

Dégager une composition des accessoires inutiles afin d’en concentrer l’effet et de lui donner toute sa puissance, c’est une des premières lois de l’art, et M. Berchère y a obéi cette année beaucoup plus qu’il ne l’avait fait pour son Coup de vent dans le désert et pour son Frondeur. Le Ralliement des caravanes à la halte de nuit est un tableau dont l’ordonnance ne laisse rien à désirer ; il exprime précisément ce qu’il représente avec une probité qui s’impose à l’attention. La caravane a marché tout le jour, le soir est venu, puis la nuit est arrivée rapide et comme empressée de rafraîchir ces pays brûlés du soleil. Des retardataires sont loin encore, qui peuvent s’égarer et ne plus entendre le cliquetis des sonnettes suspendues au cou des chameaux conducteurs. Un homme alors, juché sur un dromadaire, la main armée d’une branche enflammée, monte sur une colline ; il appelle vers les quatre points cardinaux en agitant son brandon lumineux. À ce signal qui s’entend et se voit de loin, toute la caravane se rassemble et se groupe autour des feux pour y passer la nuit après avoir fait les ablutions de sable prescrites par le prophète lorsqu’on voyage dans les contrées où il n’y a pas d’eau. L’instant choisi avec discernement par M. Berchère est celui où le krébril, du haut de son dromadaire arrêté, lève le flambeau et pousse le cri de ralliement. Sur le fond obscur de la