Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 63.djvu/700

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la coloration ; mais il faut reconnaître que tous ses efforts furent sincères et que sa réputation est légitime. Ce fut un peintre militaire dans toute la force du terme. Né au commencement du siècle, il avait reçu la forte et durable impression des derniers désastres de l’empire, et à sa façon il protesta contre nos défaites. Il fut à la peinture ce que Béranger fut à la poésie avec moins de faux lyrisme et plus de conviction. Il méritait d’être populaire et ne l’a cependant été que dans une mesure assez restreinte. A côté d’Horace Vernet, qui peignait la grande guerre sur des toiles de trente pieds, il a su se faire une place enviable et qui n’est pas sans gloire, en choisissant de préférence les sujets épisodiques : les cantinières donnant à boire aux soldats blessés, les deux amis, les curés de campagne ramenant en croupe un vieux troupier sanglant, sujets plus littéraires peut-être que pittoresques, mais qui n’en avaient que plus le don d’attirer et de fixer l’attention. Il a peint sur les premières guerres de la république une série de tableaux qui méritent de rester dans le souvenir ; son crayon spirituel avait parfaitement saisi les physionomies diverses de l’armée, et, depuis le vieux grognard jusqu’au zouave actuel, il rendait le type avec entrain et vérité. Sa mort laisse un vide regrettable dans cette spécialité qui est loin d’être une des plus hautes de l’art, mais qui n’en a pas moins sa raison d’être et son utilité. Comme s’il eût senti la fin prochaine qui le menaçait, il est revenu à ses premières impressions ; on dirait qu’avant de mourir il a voulu peindre encore une fois, et dans son heure la plus épique, cette vieille garde dont si souvent il avait illustré les hauts faits. C’est à la fois un retour et un adieu à la vie. La Garde meurt, 18 juin 1815, tel est le titre de son dernier tableau, qui, à proprement parler, n’est qu’une ébauche inachevée : un groupe de morts au-dessus duquel deux ou trois survivans sont demeurés debout, farouches, désespérés, pleins d’imprécations, attentifs à donner la mort et indifférens à la recevoir. C’est fortement peint, par larges indications qui semblent prouver que l’œuvre définitive, si elle avait été achevée, aurait eu plus d’amplitude et plus de développement. Le sentiment est vrai et saisissant ; involontairement on se dit : Ce dut être ainsi ! Et ce n’est pas là un mince éloge à faire d’un tableau. Toute la scène s’enlève en vigueur sombre sur le ciel rouge et comme ensanglanté de cette exécrable soirée. On sent que les Prussiens arrivent et que la chasse aux Français va bientôt commencer. Hélas ! qui de nous ne porte en soi l’horreur de ce souvenir et ne se rappelle l’épouvantable galopade de Blücher à travers nos soldats en fuite ? Hippolyte Bellangé avait quinze ans à cette date funeste : il dut sentir jusqu’au fond de l’âme le deuil immérité de la patrie ; dans ceux qui furent vaincus, il ne vit plus que des