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à des éponges pétrifiées ; mais jamais on ne pourra s’imaginer qu’ils représentent le sommet fluide, mobile, transparent et fugitif d’une vague. Les transpositions d’art sont dangereuses, et demander à la sculpture ce qui appartient exclusivement à la peinture ou au dessin, c’est s’exposer à ne pas réussir. J’adresserai a M. Carrier un autre reproche, reproche de détail et qui n’a qu’une importance relative. Mêler le cuivre au marbre, le jaune éclatant au blanc, c’est détruire ou du moins compromettre l’ensemble d’une œuvre. Autant que possible et à moins d’impérieuses exigences, la matière doit être une, s’imposer aux yeux par l’uniformité même de sa nuance et ne point laisser des métaux inutiles et criards éparpiller l’effet, tirer le regard et briser la douce harmonie d’une coloration générale. La même observation peut être faite à M. Grootaers pour sa Marie, mère de Dieu, à M. Chappuy pour son Joueur de bilboquet, et à M. Aizelin pour l’Enfant et le Sablier.

Qui ne se rappelle les beaux vers de l’Oaristys, d’André Chénier ?

J’entrai fille en ce bois et chère à ma déesse !
— Tu vas en sortir femme et chère à ton époux !


C’est l’imitation d’une idylle de Théocrite qu’à son tour M. Loison vient de traduire en marbre sous le titre de Daphnie et Nais. Le groupe est élégant et de bonne facture, très simple de composition et d’un agencement qui fait habilement valoir les lignes. Le jeune homme et la jeune fille, à demi enlacés, marchent côte à côte et se donnent un baiser. Les deux mains, rejointes à hauteur de la taille, sont remarquables de souplesse et ont été traitées avec un grand souci de la vérité. Les draperies, sobres d’arrangement, loin de nuire au nu, s’associent à lui dans une proportion très sage et bien raisonnée. Il n’y a là rien de tapageur, rien de trop voyant, tout est bien pondéré et d’une sobriété qu’il est bon de louer, car elle devient chaque jour plus rare. On pourrait désirer plus de force dans le modelé, plus de vigueur contenue dans le mouvement ; c’est là néanmoins une tentative fort honorable et dont il est juste de savoir gré à M. Pierre Loison.

Il me semble que la manière dont M. Clère a conçu sa Jeanne d’Arc écoutant des voix appartiendrait plus à la peinture qu’à la sculpture. Les accessoires tels que le prie-Dieu, le chapelet, le tapis écussonné de France, sont faits pour être peints dans un tableau plutôt que pour servir d’appui à une figure sculptée. Il y a là une petite recherche de couleur historique et locale qui ne me paraît pas très bien justifiée, et je crois que l’ensemble de l’œuvre aurait gagné, si l’on eût débarrassé Jeanne d’Arc de ce mobilier moyen âge, qui par sa nature même, je le répète, ne serait vraiment à sa