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année. L’ensemble de l’exposition est faible et indécis : il n’y a rien de choquant, il n’y a rien de réellement remarquable. Nul ne s’est mis en frais d’imagination, et tout ce qu’on voit paraît avoir été fait par de très habiles praticiens, accoutumés à manier un ciseau que la main seule dirige. L’Angélique de M. Carrier -Belleuse attire les regards :

Creduto avria che fosse statua finta
O d’alabastro, o d’altri marmi illustri.

On se rappelle avec quelle supériorité M. Ingres a traité le même sujet. Le peintre a su réaliser là un rêve de chasteté, de jeunesse, de grâce et de beauté : il avait suivi les indications du poète ; de son Angélique il avait fait une jeune fille, debout, immobile, enchaînée. « Roger l’eût prise pour une statue, s’il n’eût aperçu ses larmes qui coulaient. » Avec l’Angélique de M. Carrier, l’illusion n’est pas possible : c’est une femme ; elle se débat, se convulsionne, se contourne ; disons le mot, elle se tortille. Attachée au rocher, la tête renversée, effarée, les genoux repliés, le torse jeté en ayant, elle semble faire des efforts désespérés pour échapper au smisurata mostro. Son immense et invraisemblable chevelure tombe jusqu’à ses pieds en larges nattes ; des chaînes en cuivre doré étreignent ses poignets et ses chevilles : il est temps que Roger arrive. Il y a dans cette figure des morceaux traités de main de maître : je signalerai entre autres les genoux, qui sont fort beaux, étudiés avec grand soin et rendus avec une précision qui n’est point sans élégance ; mais toute la statue est d’un art bien matériel, on dirait une réminiscence du chevalier Bernin. Cette forte femme, hommasse et vigoureuse, paraît de taille à briser ses entraves et à ne point redouter la lutte avec l’orque formidable. Cette Flamande ferait bien dans une des plantureuses allégories de Rubens. Je dois dire en outre que c’est plutôt un torse qu’une statue. La tête à demi cachée sous le bras, se voit difficilement, de sorte que l’on a d’abord un amas de chairs sous les yeux avant de découvrir le visage qui doit les expliquer et leur donner l’expression. Que reste-t-il alors ? On le comprendra au premier coup d’œil. M. Garrier-Belleuse manie la râpe, le ciseau, la masse et l’archet avec une habileté remarquable ; mais j’ai peur qu’il n’en abuse et veuille parfois obtenir des effets auxquels le marbre se refuse absolument. La matière n’est obéissante que selon ses propriétés : au-delà, elle devient réfractaire, et nul talent, si ingénieux qu’il soit, ne peut lui faire rendre ce qu’elle ne contient pas. Le rocher auquel est liée Angélique baigne ses pieds dans la mer ; M. Carrier a usé de toutes ses ressources de praticien pour figurer la crête des flots, et il a échoué : ces pompons chicoracés peuvent ressembler à des madrépores ou