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beaucoup à limiter la sphère de ses efforts. Elle montra du moins une continuité d’intention et, pour tout dire, une force morale dont on ne la savait pas capable. C’est, je pense, le principal résultat du nouveau volume de M. d’Arneth d’avoir mis plus d’unité dans cette vie. Ne cherchez plus le vain mélodrame dans cette tragédie d’une grandeur antique. Non ; la reine n’a pas écrit en septembre 1791 ces lignes d’une rhétorique déclamatoire : « Ne me renvoyez pas mes diamans ; je ne me pare plus, ma vie est une existence toute nouvelle ; je souffre nuit et jour, je change à vue d’œil, mes beaux jours sont passés, et sans mes pauvres enfans je voudrais être en paix dans ma tombe. — Ils me tueront, ma chère Christine ! » Il fallait ces soubresauts de douleur, ces spasmes, ces cris de désespoir, pour terminer par un de ces poignans contrastes dont le gros des lecteurs est épris la riante galerie des prétendues lettres à Marie-Christine. Les documens authentiques nous ont désabusés ; le désespoir s’y montre sans doute, mais avec un accent énergique, soit de colère, soit de résignation amèrement subie.


« Il faut bien plus de courage à supporter mon état, dit ici la vraie reine, que si on se trouvait au milieu d’un combat. Je ne vois que malheur dans le peu d’énergie des uns et dans la mauvaise volonté des autres. Mon Dieu ! est-il possible que, née avec du caractère, et sentant si bien le sang qui coule dans mes veines, je sois destinée à passer mes jours dans un tel siècle et avec de tels hommes ! Mais ne croyez pas pour cela que mon courage m’abandonne ; non pour moi : pour mon enfant je me soutiendrai, et je remplirai jusqu’au bout ma longue et pénible carrière. Je ne vois plus ce que j’écris. Adieu. »


Le 10 août, en consommant le divorce devenu inévitable entre la révolution et l’ancienne royauté, ouvrit pour Marie-Antoinette et Louis XVI ce qu’on a appelé la période de l’expiation. Ce dernier temps est assez connu pour que le jugement de l’histoire et celui de la conscience nationale n’aient pas besoin d’y demander de nouvelles lumières. L’expiation a si fort dépassé les fautes personnelles qu’après les avoir effacées elle a montré ce roi et cette reine payant eux seuls pour beaucoup de fautes que d’autres avaient commises. Ils l’ont tous deux compris et accepté : cela s’appelle le martyre, c’est le sacrifice qui épure et rachète, et mérite par surcroît un perpétuel respect.


A. GEFFROY.