Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 63.djvu/681

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Au lieu d’entendre à de telles paroles, on ne voulut de lui qu’un dévouement obscur, suffisamment payé, pensait-on, par de l’argent. C’était ne rien comprendre à cette forte nature, qui avait besoin de rayonnement autour d’elle. On ne fit que tronquer et dénaturer tous ses plans. Il voulait qu’on osât lutter contre le parti extrême de la révolution en appelant à soi la partie saine de la nation, dût-on risquer l’épreuve de la guerre civile. Pour cela, il fallait, dans sa pensée, que le roi s’entourât de troupes ménagées à l’avance et puis quittât Paris, afin d’échapper au despotisme de l’assemblée et de Gilles César, comme Mirabeau appelait La Fayette. Le roi devait sortir de la capitale, non pas en secret et fuyant comme un coupable, mais publiquement, au grand jour, en roi qui fait un solennel appel au gros de la nation. Il s’agissait donc d’aller à Fontainebleau, à Compiègne, en Normandie peut-être, mais non pas à la frontière ; les élémens de toute résistance étaient, suivant son dessein, dans la France même et non parmi l’étranger. — On sait ce que la cour adopta de ces énergiques propositions : on fit cet insensé voyage de Varennes ; les préparatifs en datent de février 1791, et Mirabeau, à la veille de sa mort imprévue, n’en eut pas même la confidence. On fit Varennes avec le concours de l’étranger : c’était dénaturer doublement les projets de Mirabeau. Dans une lettre du 12 juin, il est vrai, la reine lui attribue de pareilles pensées.


« Il me semble, écrit-elle à Mercy, qu’un point des plus raisonnables du plan de M… est d’engager la Prusse et l’Autriche, sous prétexte des dangers qu’elles peuvent courir elles-mêmes, à paraître non plus pour faire une contre-révolution ou entrer en armes ici, mais comme garans de tous les traités de l’Alsace et de la Lorraine, et comme trouvant fort mauvais la manière dont on traite un roi. Elles pourraient alors parler avec le ton qu’on a quand on se sent le plus fort, en bonne cause et en troupes… »


Nous ne trouvons absolument rien dans le riche recueil de M. de Bacourt qui réponde à de telles vues exprimées par Mirabeau. Il est vrai qu’il y a, précisément vers juin 1791, des mémoires perdus ; mais ne voit-on pas Mirabeau, dans ce que nous avons de ses papiers, s’élever constamment contre la guerre extérieure ? Il montre qu’à tous les partis la paix est indispensable : il la faut, dit-il, aux auteurs de la révolution, car rien ne s’achève pendant la guerre ; il la faut au roi, qui deviendrait, en cas de revers, « le plastron de toutes les haines, l’objet de toutes les méfiances, la victime de tous les partis. » En présence de ces fortes expressions, qui reviennent à chaque instant sous sa plume, il y a lieu de se demander si Marie-Antoinette prête avec une entière raison à Mirabeau ce projet d’une connivence étrangère. Il en savait, on le voit, tous les périls ; sans