Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 63.djvu/677

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

désormais un autre organisme ? Le tiers-état doit-il absorber et a-t-il déjà confondu dans son sein le clergé et la noblesse ? La nuit du 4 août n’a-t-elle pas vraiment aboli les privilèges ? En vérité, Marie-Antoinette ne sait rien de tout cela. Elle veut bien patienter et souffrir avec fierté et courage, mais elle attend avec l’espoir longtemps soutenu de voir se préparer la résistance, avec le propos délibéré d’y contribuer elle-même de toutes ses forces, et de rétablir enfin les droits, imprescriptibles à ses yeux, du pouvoir. Ce qui le prouve, c’est l’unique peur qui constamment la préoccupe d’avoir pour associé dans une lutte passagèrement nécessaire l’ordre de la noblesse, dont elle redoute l’ambition jalouse, et qui pourrait être tenté, après un triomphe remporté en commun, de réclamer une trop forte récompense ou d’empiéter indiscrètement sur l’autorité souveraine. Voilà, pour elle, où est le danger. Comment, selon ses vues particulières et en se gardant de la noblesse, deviendra-t-on vainqueur ? C’est ce que l’examen des lettres publiées par M. d’Arneth démontre encore fort clairement.

Il y a, dans cette histoire de Marie-Antoinette pendant la période révolutionnaire, un premier et principal épisode qui montre bien quelle sera l’attitude constante de la reine et quelle sorte de plans elle acceptera de former : je veux parler des relations avec Mirabeau, qui s’ouvrirent au mois de mars 1790. C’était le génie même de la révolution naissante, ce tribun encore royaliste, dont l’éloquence était faite d’indignation contre les abus du passé et de sûre intelligence du présent et de l’avenir. Qui eût su distinguer de ses fougueux emportemens son bon sens infaillible eût aperçu nettement par lui où était le vrai péril et comment on pouvait tenter de le combattre. Il est vrai qu’à le voir seulement, comme faisait la cour, à travers la distance que mettait entre elle et lui son étrange renommée, le discernement n’était pas aussi facile que nous sommes tentés de le croire. « Ah ! que l’immoralité de ma jeunesse fait de tort à la chose publique ! » disait Mirabeau lui-même. Comment d’ailleurs la cour aurait-elle pris en lui prompte confiance quand elle le voyait tout à coup, si quelque incident l’irritait, lui échapper ? Et cependant ses célèbres notes étaient si éloquentes, elles exprimaient si fortement le pur langage du droit sens et de la vérité qu’il semble encore qu’elles auraient dû vaincre tous les scrupules.

Quelle fut la conduite de la reine dans cette négociation ? Faut-il accepter d’abord, telle que nous l’offrent certaines correspondances, l’expression fréquente et toute dramatique de ses hésitations et de son trouble lors de son entrevue avec Mirabeau ? A-t-elle mandé à son frère Léopold, en deux lettres qu’admettent les deux recueils