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disait-elle en voyant entrer le peuple dans Versailles ; mais j’ai appris de ma mère à ne pas craindre la mort, et je l’attendrai avec fermeté. » Une fois arrivés à Paris, à l’Hôtel-de-Ville : « Le peuple nous demandait de rester ; je leur ai répondu, écrit-elle à Mercy, de la part du roi, qui était à côté de moi… » Quand le prince de Lambesc, après la journée du 12 juillet, avait été mis en accusation, elle avait montré par son attitude qu’elle eût offert à la résistance un point d’appui, si elle eût été seule souveraine. « M. de Montmorin voulait m’engager à montrer à M. de La Fayette ma sensibilité sur l’affaire de M. de Lambesc, qui va mal ; je m’y suis refusée : j’aurais eu l’air de le croire coupable en parlant pour lui. L’Europe entière l’a déjà jugé ; la France elle-même, quand elle sera désaveuglée, aura honte d’avoir puni un sujet du roi parce qu’il l’a servi fidèlement et qu’il obéit aux ordres qu’on lui avait donnés… Si vous croyez, ajoute-t-elle à Mercy, qu’à cause du nom qu’il porte il faut éviter, non pas la honte, mais la vilenie de le faire pendre en effigie, voyez, comme ambassadeur de l’empereur, chef du nom de Lorraine, que nous portons avec lui, si vous avez quelque chose à dire, — pourvu que cela n’ait pas l’air d’une grâce, — car je n’en serai pas moins contente de l’avoir pour cousin après sa pendaison qu’avant. » Voilà un fier langage, mais qui ne pouvait se faire écouter.

S’il était permis de songer uniquement d’abord à la résistance, la reine a-t-elle admis bientôt après, en face d’une situation devenue en peu de temps si grave, la pensée d’un autre plan de conduite ? On vient de voir en quelles dispositions la révolution l’a surprise : les soupçons inquiets de l’opinion publique ont renouvelé son ancienne impopularité ; elle y a répondu par l’impatient dédain que lui inspirait l’émeute. Va-t-elle changer d’attitude morale en présence de la révolution déclarée ? C’est un point sur lequel jusqu’à présent ses historiens n’ont pas été d’accord. Suivant les uns, elle s’est montrée prête à conseiller de sérieuses concessions et à s’engager avec le roi dans la voie nouvelle qui, à plusieurs reprises, parut offerte. Suivant d’autres, elle a hésité sans cesse, elle a écouté et favorisé successivement les divers systèmes, de manière à les tous compromettre. Le nouveau volume de M. d’Arneth ne permet plus d’incertitude ni d’erreur sur cet important sujet. Marie-Antoinette n’a pas admis un seul jour que l’œuvre tumultueuse qu’elle voyait s’agiter devant elle fût une transformation sociale rendant nécessaire une transformation politique : elle n’a pas accepté la pensée d’un changement quelconque dans l’antique programme de la royauté française. Y a-t-il là sous ses yeux une nation renouvelée qui a brisé sa vieille constitution, et à laquelle convienne