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sept lignes qu’il termine ainsi : « Je serais enchanté, ma chère maman, de vous contenter et de vous marquer par là tout mon attachement et la reconnaissance que j’ai que vous avez bien voulu m’accorder votre fille, dont je suis on ne saurait plus content. » Là-dessus Marie-Antoinette reprend la plume et dit à sa mère : « Vous voyez, par la fin de son compliment, que quoiqu’il ait beaucoup de tendresse pour moi il ne me gâte pas par ses fadeurs ! »

Cependant voilà déjà quatre ans de mariage, et il n’y a encore d’héritier qu’un fils de la comtesse d’Artois. Chacune des sœurs et belles-sœurs est devenue mère : la reine seule n’a pas répondu à l’attente de tout un peuple et aux vœux incessans de l’impératrice. Il faut lire dans la correspondance authentique combien elle souffre de ces retards : ces joies qui l’entourent la suffoquent par le retour sur elle-même. « La nonchalance n’est pas de mon côté, » s’écrie-t-elle, et puis, tâchant de se résigner, elle résume dans un mot d’une incroyable amertume son étonnement, sa déception, son humiliation. Après ce qu’elle a dit mainte fois de ses beaux-frères, elle ajoute : « Si j’avais à choisir un mari entre les trois, je préférerais encore celui que le ciel m’a donné ! » C’est le moment de son plus profond découragement, et c’est le moment aussi de ses dissipations extrêmes. Marie-Thérèse n’obtient plus, dans cette même année 1776, ni lecture ni étude de musique ; un achat de bracelets de 250,000 livres dont Marie-Thérèse fut particulièrement affligée est du mois d’août. L’impératrice écrit enfin désespérée, à la date du 1er octobre, ce billet pour l’abbé de Vermond, qui marque bien le point culminant de cette biographie morale :


« Je suis bien touchée de vos services et attachement, qui n’ont pas d’exemple ; mais je le suis aussi de l’état de ma fille, qui court à grands pas à sa perte, étant entourée de bas flatteurs qui la poussent pour leurs propres intérêts. Dans ces circonstances, ma fille a besoin de vos secours. Mercy et moi espérons que vous ne vous refuserez à nos souhaits et tâcherez de traîner votre retraite jusqu’après l’hiver ; si alors les choses ne changent, je ne saurais exiger de vous de nouveaux sacrifices, sans en pouvoir espérer du changement, et j’aurai en toute occasion et à tout événement pour vous toute estime et reconnaissance.

« Post-Scriptum. — Étant logée à Schönbrunn dans les chambres où ma fille a été, je me trouve à la même place où vous avez eu vos conversations ; jugez combien j’en suis affectée. »


Mme Campan, jalouse, peut avoir médit de l’abbé de Vermond. Cet éloquent billet, écrit par une mère, et les lettres de l’abbé à Mercy que M. d’Arneth vient de publier l’absolvent au point de vue de l’honnêteté et de la conscience. Vermond, nous le savons aujourd’hui, était fidèle et zélé, mais ses papiers montrent bien qu’il manquait de crédit personnel auprès de la reine et déplaisait à Louis XVI ; ce