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passages absolument incompréhensibles, tant l’expression en est imparfaite : on n’imagine pas une telle confusion d’idées et de mots ; cet esprit qui paraissait se mouvoir à l’aise dans la sphère relativement paisible de la première moitié du règne, une fois en présence de la lutte, devenue terrible il est vrai, se trouble et balbutie. C’est le contraire, nous le verrons, qui est arrivé pour Marie-Antoinette. — Pourquoi n’avoir pas donné, quand cela était si facile, les sincères documens qui eussent mis en relief ces intéressantes variétés d’esprit et de caractère et en même temps servi la cause de l’histoire ?

Si les récentes publications françaises ne nous apprennent rien de nouveau sur Louis XVI et tendent plutôt au contraire à nous donner le change sur quelques traits de sa physionomie, les deux volumes de M. d’Arneth nous édifient complètement sur les dangers que le timide caractère du roi devait créer à Marie-Antoinette comme femme et comme reine. À cette dauphine de quatorze ans et demi on avait donné un mari qui n’avait pas seize ans. C’était une suite des habitudes royales et princières du précédent siècle. Le sentiment monarchique ou aristocratique suppléait-il chez ces privilégiés à ce qui leur manquait d’autorité par l’infériorité de l’âge ? En tout cas, le jeune dauphin n’avait plus même cette complète défense : ses propres qualités, en lui inspirant certains dégoûts du passé, le désarmaient ; l’initiative de l’homme ne venait pas combler le vide que laissaient la désillusion et le renoncement chez le dernier héritier de tant de grandeur et de tant de fautes. Marie-Antoinette au contraire, indépendamment de sa nature plus vive et plus haute, avait encore ce fier sentiment de la race qui suffisait à l’animer et à la soutenir. Son mariage a été tout politique : elle le sait et apprécie à sa juste valeur l’avantage d’avoir été choisie, comme elle dit, pour le plus beau royaume de l’Europe ; mais d’autres sortes d’illusions, elle n’en a guère : on la voit, dans les lettres authentiques à Marie-Thérèse, qui se préoccupe de « former, » comme elle dit, en même temps que d’amuser son époux. Tantôt elle lui apprête des spectacles dans son intérieur, tantôt elle l’engage à donner à souper une fois la semaine. « C’est le meilleur moyen, dit-elle, d’empêcher qu’on ne l’entraîne à de mauvaise compagnie comme son grand-père ; cela est encore bon pour diminuer la familiarité qu’il aurait pu avoir avec ses valets. » Elle sourit d’abord à sa gaucherie naturelle. Par exemple, écrivant pour la première fois à sa mère après son avènement à la royauté, elle vient d’obtenir que son mari ajoute au moins quelques lignes de compliment au bas de la lettre qu’elle envoie. Louis XVI, précisément gêné sans doute par la nécessité de trouver quelque chose d’aimable et par cette continuelle défiance de lui-même qui le privait de ses propres ressources, écrit six ou