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I

Jamais mariage princier ne fut plus entièrement dicté par la politique que celui qui destina Marie-Antoinette à devenir dauphine, puis reine de France. Choiseul avait depuis longtemps médité, préparé cette union, pour réparer les malheurs de la guerre de sept ans et pour tenir en échec la Russie et l’Angleterre ; la jeune archiduchesse entrant en France au commencement de mai 1770 semblait devoir être un gage de paix et de concorde européenne. A peine est-elle cependant mariée depuis six mois que les intrigues du duc d’Aiguillon, de l’abbé Terray et du chancelier Maupeou, secondées par la Dubarry, mettent fin au ministère et à la faveur de Choiseul. Que devient désormais au milieu de la cour de Versailles cette archiduchesse autrichienne, dauphine de France à quatorze ans et demi ?

Elle continue tout d’abord de chercher un appui dans l’affection de sa mère. Leur correspondance authentique, récemment publiée pour la première fois par M. d’Arneth, a été une lumière imprévue. C’était en premier lieu un jour nouveau sur cette grande figure de Marie-Thérèse, impératrice pendant quarante années, qu’elle passa dans une lutte opiniâtre pour soutenir contre d’ambitieux voisins ou contre de redoutables amis intérieurs le faisceau mal uni des immenses possessions de la maison d’Autriche. Mère de seize enfans, parmi lesquels il y eut deux empereurs et deux reines, elle étonna le XVIIIe siècle à la fois comme femme et comme souveraine ; peut-être égale par ses talens à Frédéric II et à Catherine la Grande, elle leur eût été supérieure, n’eût été le partage de la Pologne, par l’honnêteté de sa vie publique comme par celle de sa vie privée. En lisant la correspondance authentique d’une telle mère avec Marie-Antoinette, on a été très frappé des reproches interminables et des obsessions de chaque jour jusque sur les plus intimes détails ; on a été tenté de prendre le parti de la jeune dauphine contre une sollicitude maternelle qui paraissait excessive. Il faut bien se rappeler cependant qui était Marie-Thérèse et combien sa fille était jeune et abandonnée. Qu’on se reporte par la pensée au milieu de ces grandes familles souveraines de la fin du XVIIIe siècle : elles étaient peu nombreuses, celles qui savaient entrevoir que leur empire allait cesser et qui disaient comme le roi Louis XV : « Après moi, la fin du monde ! » La plupart, trop fières pour mal augurer de leur lendemain, avaient encore de leur souveraineté l’idée la plus haute. Marie-Thérèse en revendiquait tous les droits, mais en acceptait pour les siens comme pour elle-même