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l’humanité. Cette suave aurore de l’histoire évangélique contraste bien poétiquement avec les sombres nuages qui ne tardent pas à envahir ce ciel pur. Le troisième Évangile parut sans doute dans les premières années du IIe siècle au sein du monde gréco-romain, en vue duquel l’auteur avait pris la plume. On a des traces de son emploi à Rome depuis environ 125.


III

Nous ne pouvons mieux résumer cette étude qu’en constatant que la critique moderne peut se croire désormais sur la voie où se résolvent les problèmes relatifs à la formation des Évangiles. Les ressemblances et les différences sont également expliquées. Les synoptiques se ressemblent quand ils transcrivent les mêmes documens, ils diffèrent quand ils reproduisent les données que chacun a recueillies seul dans la tradition écrite ou orale. Si la méthode suivie pour arriver à la solution est compliquée, il faut avouer que cette solution est simple. Le bon sens suffira pour le faire comprendre, nous n’avons pu aborder ici toutes les difficultés de détail que l’on pourrait encore opposer à nos explications. Il nous serait facile d’y trouver une confirmation indirecte de la théorie par la souplesse avec laquelle, sans renier son principe, elle se plie à ces cas particuliers. Ce qui doit concentrer finalement nos regards, ce sont les conséquences que cette genèse des Évangiles entraîne quant à l’histoire elle-même de Jésus.

En premier lieu, tout ce que nous venons de voir confirme surabondamment tout ce qui a été dit sur le caractère moins qu’historique du quatrième Évangile. Nos trois synoptiques en définitive représentent de nombreux témoins. Ils écrivent d’après des sources antérieures touchant de près à la personne même de Jésus. Le Proto-Marc, les « sentences » de Matthieu, la remarquable tradition palestinienne enregistrée par Luc, la voix des traditions d’origine moins marquée, tous ces témoignages, malgré les nuances qui les distinguent, déposent en faveur d’un seul et même Jésus, répondant sans doute admirablement à l’idéal de notre conscience religieuse et morale, mais qui reste à cent lieues de l’être métaphysique décrit par l’Évangile philonien seul. Une hypothèse ingénieuse, étayée des ressources d’un savoir presque vertigineux, a tenté récemment de sauver le caractère historique du quatrième Évangile en recourant à l’idée d’une doctrine secrète que Jésus aurait mystérieusement communiquée à ses plus intimes disciples, et qui n’aurait été pleinement révélée ni par Pierre ni même par Paul, mais seulement près d’un siècle et demi après la mort du maître. On s’appuie notamment sur le fait attesté par les autres Évangiles, que Jésus avait avec ses