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paroles ou sentences de Jésus, — l’autre, écrit en grec, œuvre de Marc, compagnon de Pierre, et se composant d’événemens et d’enseignemens, de faits et de dits. Voilà, nous le répétons, la plus ancienne donnée traditionnelle. Si rien, dans les livres qui nous occupent, ne cadrait avec elle, si elle ne leur était applicable qu’en faisant violence aux textes, il n’y aurait qu’à la laisser de côté comme un hors-d’œuvre ; mais voilà précisément ce qui n’est pas, et il suffit de comparer d’un peu près les trois synoptiques l’un avec l’autre pour s’assurer de la clarté, de l’aisance avec laquelle la formation des trois premiers Évangiles se trouve expliquée, au moins pour la plus grande part, quand on prend cette donnée pour fil conducteur.

Une des choses qui ont le plus égaré la critique antérieure, c’est que, je ne sais trop pourquoi, on voulait toujours que Marc ne fût qu’un abrégé, qu’un pedisequus des deux autres, tout au moins de Matthieu : jugement fort arbitraire, dont la théorie mythique et celle de Tubingue s’arrangeaient à merveille, mais qui ne tient pas devant un examen approfondi des textes. Les trois synoptiques ont été certainement écrits indépendamment les uns des autres : il n’y a pas moyen de comprendre sans cela les omissions et les lacunes de leurs récits respectifs. M. Reuss avance là-dessus d’irrésistibles argumens dans son introduction allemande au Nouveau Testament. Si maintenant on compare attentivement ces trois Évangiles, on trouve qu’une source commune, très ressemblante à notre Marc, leur a servi à tous les trois. La preuve en est que, dans les passages parallèles, c’est tantôt l’un, tantôt l’autre des synoptiques qui a conservé le texte original. — Comment peut-on savoir cela ? dira quelqu’un. — Bien simplement. Il suffit de rechercher lequel des trois textes parallèles est le moins correct, le plus obscur, le plus paradoxal, le moins orthodoxe. C’est bien certainement celui qui est aussi le plus ancien, et l’on peut dire en ce cas sans le moindre sophisme que la leçon la plus mauvaise est régulièrement la meilleure, car on conçoit qu’un auteur, transcrivant un original, aime à le corriger, s’il est incorrect, à l’éclaircir, s’il est obscur, à le rendre moins étrange, s’il prête aux objections, tandis que l’opération inverse serait incompréhensible. Par exemple, lorsque les trois synoptiques s’accordent à rapporter que Jésus fut interrogé par un scribe sur la question du plus grand commandement, — ce qui donna lieu, comme on sait, à la sublime déclaration de la suprématie absolue de l’amour de Dieu et des hommes, — on peut reconnaître sous le triple récit la source commune qui leur a servi ; mais quand nous voyons que Marc seul attribue au scribe une bonne intention, tandis que les deux autres veulent qu’il n’ait interrogé Jésus que pour lui tendre un piège, il est clair que c’est Marc en cet endroit qui reproduit le plus fidèlement la source commune, car les deux