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auriculaire, la nature même de l’ouvrage qu’il a écrit, auraient dû attirer de son côté l’attention du commentateur ; mais voici ce qui s’y oppose. Matthieu a écrit en hébreu, et les traductions qui circulent n’inspirent pas de confiance à Papias, car « chacun traduisit comme il put, » ce qui suppose qu’à son avis personne n’en fut bien capable. Il va sans dire qu’il ne faut accepter les jugemens du presbytre d’Hiérapolis que sous bénéfice d’inventaire, car il y a évidemment de la mauvaise humeur mal dissimulée contre ces écrits dont le témoignage, toujours plus recherché, dérange les habitudes du vieil orthodoxe ; mais, à ses yeux comme à ceux de ses lecteurs, il devait y avoir aussi des. faits expliquant, s’ils ne justifiaient pas entièrement, ces critiques et ces fins de non-recevoir.

En quatrième et dernier lieu, ce qu’il importe de préciser, c’est la nature de ces deux documens écrits dont parle Papias. Qu’est-ce donc que ce recueil hébreu de « sentences divines, » de logia, dont il attribue la rédaction à l’apôtre, Matthieu ? Notre Évangile actuel ? Mais cet Évangile est grec et ne peut pas provenir d’un original hébreu. D’ailleurs Papias, s’il l’a connu, ne le regardait pas, ses propres paroles en font foi, comme l’œuvre de Matthieu. Le livre écrit par l’apôtre, selon lui, était rédigé en hébreu, et ces traductions qui lui inspiraient si peu de confiance avaient été faites par d’autres. Est-ce ainsi d’ailleurs, est-ce par cette expression de logia ou « sentences divines » que l’on peut désigner un Évangile comme notre premier synoptique, où l’enseignement tient, il est vrai, une grande place comparativement au second, mais où les faits sont en définitive, tout aussi nombreux que les discours ? N’y a-t-il pas une différence accusée avec intention entre la définition de l’écrit attribuée Marc, qui contient et des faits et des dits, et celle de l’écrit attribué à l’apôtre Matthieu, qui est, à proprement parler, un recueil pur et simple de « sentences divines, » dans le genre, par exemple, des proverbes et des livres sapientiaux que la piété orientale a toujours aimés ? , « Sentences divines » est ici le vrai sens du mot logia. Les Grecs l’employaient pour désigner les oracles énoncés en prose et, par extension, pour indiquer un effatum divinum quelconque, une déclaration ayant un caractère d’autorité divine. On a objecté qu’il y a des exemples de l’emploi de ce mot pour désigner l’ensemble des récits de la Bible ou d’un livre biblique ; mais on n’a pas réfléchi que cet emploi provenait de la supposition que, les récits bibliques étant divinement et continuellement inspirés, le narré lui-même des événemens est aussi instructif, aussi révélateur que les enseignemens proprement dits qui y sont mêlés. Il reste donc, à prendre les mots dans leur sens simple et naturel, que pour Papias il y a deux documens évangéliques primitifs, — l’un écrit en hébreu par l’apôtre Matthieu et consistant en un recueil de