Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 63.djvu/630

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

relatifs à cette histoire, dont l’un écrit en hébreu, puis traduit en grec par différens traducteurs, était attribué à la plume de l’apôtre Matthieu, dont l’autre était attribué à Marc, compagnon de l’apôtre Pierre, de telle sorte que, si Gieseler avait raison, Schleiermacher n’avait pas tort. Il y a eu en réalité pendant un certain temps coexistence de la tradition orale et de documens écrits, jusqu’au moment où ceux-ci eurent complètement éclipsé celle-là. Ajoutons que tout ce que nous savons de la singulière tournure donnée dès lors par la tradition orale aux enseignemens de Jésus concourt à nous inspirer une véritable reconnaissance pour les novateurs qui, dans ces temps primitifs de l’église, eurent la hardiesse d’écrire au lieu de se borner à parler.

On peut voir, en second lieu, que Papias a la prétention d’avoir rangé dans un ordre parfait les discours de Jésus qu’il a reproduits d’après la tradition orale ; mais de quel genre était cet ordre ? Était-il chronologique ? Cela est plus qu’invraisemblable. Tout porte à croire que Papias avait distribué ces discours par ordre de matières. Qui donc avait pris des notes durant la vie de Jésus pour fixer la date de ses enseignemens ? Et comment d’une tradition orale Papias pouvait-il recueillir autre chose que des membra disjecta qu’il était libre ensuite de coordonner d’après les analogies ou les différences ? Rappelons-nous qu’il s’agit pour lui d’expliquer, de commenter les discours de Jésus. Sans doute ses explications l’amèneront plus d’une fois à rappeler tel événement ou tel acte de Jésus servant à éclaircir le sens ou à confirmer la vérité de ses paroles ; mais enfin le fil de son ouvrage a dû être didactique, et les faits n’ont pu y figurer qu’à titre de commentaires.

Troisième observation : Papias n’aime pas les documens évangéliques écrits. Ce qu’il dit de ceux qui portent les noms de Marc et de Matthieu offre un curieux mélange d’éloge et de blâme. On voit qu’autour de lui ces deux écrits sont déjà en possession d’une véritable popularité, et surtout qu’il ne faut pas dire du mal des deux auteurs, dont les noms sont l’objet de la vénération générale. Cependant le vieux presbytre doit expliquer pourquoi il n’a pas voulu s’en servir, et voici ses raisons : Marc, l’interprète de Pierre, a consulté consciencieusement ses souvenirs pour rédiger une histoire des « dits et gestes » du Christ ; mais cette histoire est incomplète, il n’a pu reproduire « avec ordre » les discours du Seigneur ; il ne faut pas lui en vouloir, puisqu’il n’a pu faire autrement, le fait n’en est pas moins constant. Il est clair que c’est en pensant à ce bon ordre qu’il se pique d’avoir parfaitement établi dans son propre ouvrage que Papias relève cet inconvénient à charge du récit de Marc. Quant à Matthieu, ce serait autre chose. Lui du moins a rédigé un recueil d’enseignemens du Christ, et sa qualité de témoin