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traduction retouchée et augmentée. L’Évangile de Luc, en revanche, aurait été la riposte du parti paulinien, et bien loin de croire avec les pères que l’ultra-paulinien Marcion eût modifié à sa guise notre troisième Évangile, l’école prétendait que Marcion avait possédé le véritable Luc, tandis que le nôtre devait son existence à une révision de cet Évangile destinée à le rendre moins hérétique. Enfin on supposait que la chrétienté primitive avait consacré un sentiment de neutralité conciliante dans l’Évangile de Marc, qui n’est ni judæo-chrétien ni paulinien. À cette explication nouvelle s’ajoutèrent des considérations tendant à reculer la rédaction de nos Évangiles jusque dans le second siècle et même plus près de 150 que de 100. À ce point de vue, il était d’une médiocre importance de rechercher les sources où les auteurs canoniques avaient pu puiser, tant il était certain qu’en tout cas ils en avaient complètement subordonné les indications à l’intérêt de leur polémique. C’est ainsi que les textes les plus innocens se transformaient en machines de guerre ou bien en manœuvres d’une diplomatie théologique raffinée. Jésus, dans Matthieu, conseille de ne pas présenter les choses saintes aux chiens ni les perles aux pourceaux. Traduisez qu’il a défendu à ses disciples de porter l’Evangile aux païens. Dans Luc, il blâme l’intolérance de Jean, qui ne veut pas laisser un homme étranger au cercle apostolique chasser les démons en son nom : cela veut dire que Jésus a d’avance condamné les prétentions des douze à l’égard de Paul, et ainsi de suite. Les différences et les ressemblances s’expliquaient dès lors toutes seules, les premières ayant été dictées par l’intérêt de parti, les secondes par le caractère neutre des fragmens possédés en commun. C’est seulement dans l’Évangile de Matthieu, le plus ancien de tous, que l’on pouvait encore assez bien discerner la doctrine du maître, sur lequel au surplus, dans les premiers temps, sans adopter ni combattre précisément la mythologie de M. Strauss, l’école de Tubingue gardait un silence plein de réserve.

En un sens, et malgré ces exagérations, la théorie de Tubingue fit du bien. Elle ramena la critique des Évangiles des terrains vagues où elle errait depuis plusieurs années à la suite de Gieseler. Elle porta même un coup indirect, mais très sérieux, aux théories mythiques en replaçant la science en plein dans les réalités personnelles et polémiques du premier siècle. Ce qu’il faut ajouter, c’est que les plus vigoureuses réfutations des assertions radicales émises par cette école dans la première ferveur de ses découvertes partirent du milieu même de ses adhérens. M. Kœstlin démontra que la date assignée par le Dr Baur à la composition de nos Évangiles était beaucoup trop tardive. M. Volkmar força le maître lui-même à convenir qu’il s’était trompé en soutenant l’originalité de l’Évangile de Marcion. Il fut facile de prouver qu’il était inexact de faire du