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richesse elle-même, et n’écrirait pas impunément dans la France contemporaine ses malédictions contre la classe opulente. Ils contiennent chacun, mais surtout le premier et le troisième, des épisodes qui leur appartiennent en propre et qui manquent aux deux autres. Marc, le second évangéliste, se retrouve presque tout entier dans Matthieu et dans Luc, mais il est singulièrement dépourvu, en comparaison, de parties didactiques. Le premier, Matthieu, suit d’abord le même ordre que le second et le troisième, mais il le quitte brusquement, un peu avant le chapitre V, pour ne reprendre le fil commun qu’à la fin du chapitre XII. Il est surtout remarquable par les discours de Jésus, qu’il reproduit par grandes masses, par exemple le sermon sur la montagne, la série de paraboles du chapitre XIII, les véhémentes apostrophes accumulées au chapitre XXIII, etc. Nulle part la parole du divin maître n’est plus haute, plus animée, plus souverainement éloquente. Et pourtant c’est dans ce même Évangile, parmi les fragmens qu’il possède seul, que nous rencontrons ces épisodes de l’histoire évangélique dont notre raison moderne a le plus de peine à prendre son parti (Pierre marchant sur les eaux, le statère trouvé dans la bouche du poisson, les gens ressuscités au moment où Jésus meurt et rentrant dans Jérusalem, etc.). Le troisième, Luc, est le seul qui rapporte un certain nombre de scènes ayant la Samarie pour théâtre et où les Samaritains, ces hérétiques si détestés par l’orthodoxie juive, ont ordinairement le plus beau rôle. En revanche, on ne trouve chez lui, au lieu de deux, qu’une seule multiplication des pains, et c’est en vain qu’on y chercherait les événemens qui, selon les deux autres synoptiques, se sont passés entre les deux miracles.

Ce sont là les grandes différences. Il en est d’autres plus spéciales et d’un intérêt non moindre. Ainsi l’un des trois synoptiques, Marc, ne sait rien de la naissance miraculeuse du Christ. Matthieu et Luc s’accordent sur ce point, mais sur ce point seul ; car, pour les autres données traditionnelles qu’ils ont enregistrées sur l’enfance de Jésus, il n’y a pas moyen de les mettre d’accord. Tous deux sont aussi de l’opinion que Jésus descend de David : leurs deux généalogies aboutissent également à Joseph, l’époux de Marie, ce qui est au moins étrange du moment qu’ils admettent une conception miraculeuse ; seulement ces deux généalogies diffèrent. L’une, — celle de Matthieu, — fait descendre Jésus de David par la ligne royale de Salomon, Roboam et les autres rois de Juda ; l’autre, — celle de Luc, — lui assigne pour ancêtres la ligne collatérale, qui commence à Nathan, autre fils de David. Dire, comme on l’a quelquefois voulu, que l’une de ces généalogies est celle de Joseph, l’autre celle de Marie, c’est se payer de mots : les textes sont formels, La tentation au désert, décrite d’une manière très