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Kœnig. » Élevé loin des affaires jusqu’au jour où il lui fallut les prendre en main, le roi Louis II a ce grand mérite d’être neuf, avantage plus rare qu’on ne croit, même chez les souverains de vingt ans. Il se peut que de cette nature distinguée et charmante rien ne sorte, que Louis II ne soit en définitive qu’un poète, un visionnaire. Ce qu’on doit pourtant reconnaître, c’est que l’Allemagne l’observe avec intérêt, l’environne de ses sympathies. Sans aller jusqu’à pressentir un grand prince dans cet attrayant et singulier jeune homme qui se cherche perpétuellement, on lui sait déjà gré de n’être ni un caporal, ni un capucin.

Lorsque François Ier chassait à courre dans la forêt de Compiègne, et que le cerf, lancé par la meute, venait par la vallée de Berne pour se jeter à l’eau dans un des étangs de Saint-Pierre qui se trouvent environnés de collines, telles que les monts Saint-Marc et autres, sa majesté faisait faire halte en vue de Pierrefonds et disait à sa suite : « Compagnons, regardez là-bas la croupe de la montagne ; voyez ce château-fort magnifiquement édifié, en est-il de plus défensable, mieux garni de toutes choses appartenant à la guerre ? Fortes tours, murs bien crénelés bravant les coups d’arquebusade ainsi que les boulets ! » J’imagine que ces paroles du roi de France, citées par les chroniqueurs de Pierrefonds, plus d’un landgrave de Thuringe dut, à quelques variantes près, les avoir à la bouche en contemplant au milieu de son cortège d’hommes d’armes sa Wartbourg si fièrement campée là-haut dans les nuages du couchant. Je visitais naguère ce château de Pierrefonds qu’on relève aujourd’hui de ses ruines, et je m’étonnais en pensant que la Wartbourg, de dimensions infiniment moindres, parût tenir au soleil plus de place. C’est que l’optique de l’esprit n’est point celle des yeux et bien souvent s’entend mieux que l’autre à déterminer la vraie mesure d’un édifice. Telle imposante construction du moyen âge encadrée dans un paysage d’aquarelle va produire sur vous l’effet d’un simple objet d’art, d’un curieux joujou, tandis que, par l’escarpement et la sauvagerie du site, confondu avec la masse granitique sur laquelle ses assises furent posées, tel donjon du haut de sa cime alpestre vous écrasera de sa grandeur. Que sera-ce maintenant, si à cette impression première toute pittoresque vient se joindre le sentiment d’une souveraine importance historique ? Il n’y a pas que des pierres dans un monument : les édifices, comme les êtres humains, ont leur individualité particulière, laquelle se compose des événemens qui se sont agités en eux et finit par se trahir au dehors, de même que les passions dont le cœur de l’homme est le siège ont leur rayonnement sur son visage. On comprend qu’à ce compte la Wartbourg doive l’emporter et sur le château de