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monarque de vingt ans. Richard Wagner, quel que soit le jugement porté sur ses œuvres, est l’homme d’une conviction, d’une idée ; or, comme on en peut dire autant du roi Louis II, s’il se rencontre que chez le souverain comme chez l’artiste cette idée soit la même, qu’elle embrasse par exemple les origines légendaires de la grande nationalité commune, la sympathie n’admettra plus d’objection, et sous le mysticisme des affinités disparaîtra la question d’art. Richard Wagner peut n’être aux yeux du monde qu’un mauvais musicien, un poète pire ; pour ce roi de vingt ans, éperdument énamouré de tous les romantismes du passé, Richard Wagner est l’homme qui a mis en musique les légendes de Tannhäuser, de Lohengrin, de Tristan et Iseult. Et cette musique, fût-elle inintelligible pour tous, il l’a comprise d’avance, car elle lui parle de ce qui le passionne, car elle évoque toutes les poésies, tous les rêves de son âme, qui s’éveille au présent sous l’influence du germanisme du passé. « Sire, vous êtes vous-même une légende ! » Voyez-le à cheval se promener à l’écart suivi d’un simple groom dans les grands bois de Hohenschwangau, errer des journées entières autour des lacs, cherchant, comme dit Byron, cette solitude de la rêverie où l’on est le moins seul.

Solitude where you are least alone !


Au chaste éclat de son regard, à la fière beauté de son visage, vous le prendriez pour le Siegfried des Niebelungen, si la gracilité de sa personne, la trop flexible sveltesse de sa longue taille de roseau, ne trahissaient dans le demi-dieu les langueurs de la vie moderne. Son visage même, tout innocence et pureté, a quelque chose de l’effarement qui se lit sur les traits de Novalis. On dirait l’épouvante de la royauté, dont il porte en soi, tout en détestant l’étiquette, le sentiment très vif et très résolu. Les Polonius, sous quelque forme qu’ils se rencontrent, lui soulèvent le cœur. Il fuit les gens d’antichambre et les aides-de-camp, se défait volontiers de sa suite et s’échappe pour se chercher lui-même. C’est un poète moins la rime, un poète en dedans, un penseur : excellente étoffe de prince quand la volonté ne fait pas défaut, et certes il n’y a point à soupçonner ici qu’elle manque. Au besoin, l’enfant sait ce qu’il veut, et le prouve. Peu de mois après la mort de son père, son oncle, le prince Charles, s’était mis en tête de lui donner des conseils à propos des duchés, et voulait à toute force l’amener à renoncer à cette attitude d’Allemand enragé, lorsqu’un jour, fatigué sans doute de la discussion, le neveu se redressa soudain et d’un ton qui n’admettait pas de réplique : « Mais enfin, mon cher oncle, dit-il, vous oubliez que je suis le roi, lieber Onkel, ich bin doch der