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mesure de réforme la plupart des suffrages. Il est également convenu maintenant, contrairement aux premières prétentions ministérielles, que les deux lois de réforme, qui se complètent l’une l’autre, seront votées simultanément dans le cours de la présente session. Le ministère a ainsi cédé de bonne grâce aux objections qui avaient irrité et grossi à ses dépens l’opposition. Au fond, les conservateurs reconnaissent aujourd’hui qu’en somme la réforme nouvelle ne leur fait courir aucun danger. Sans doute ils présenteront quelques amendemens de détail ; ils demanderont par exemple que la rente, qui doit donner dans les comtés la capacité électorale, soit fixée à 20 livres au lieu de 14, comme le propose le plan ministériel. Ces petites dissidences sont insignifiantes et ne compromettront ni le succès de la mesure ni l’existence du cabinet. L’occasion se présente de faire pour un long espace de temps, pour une trentaine d’années suivant toute apparence, le règlement, the settlement, comme disent les Anglais, de la question électorale, et de conclure cet arrangement à l’amiable, pour ainsi dire, en introduisant trois ou quatre cent mille votes populaires dans le corps électoral, sans porter atteinte à l’influence politique de la propriété. D’un ministère tory, l’opinion libérale eût exigé sans doute des conditions plus radicales ; d’un cabinet libéral, l’opposition tory obtient un arrangement qui n’est point hostile à ses intérêts. Tout annonce donc que la réforme électorale s’accomplira désormais fort tranquillement, comme une réparation prudente, opportune, efficace, destinée à consolider, en les rendant plus modernes, les vieux bâtimens gothiques de la constitution britannique.

M. Gladstone avait ainsi mené à bien la plus grande partie de sa campagne réformiste ; il avait présenté son budget avec cette abondance lyrique que la manipulation prestigieuse des chiffres lui inspire ; il avait assuré avec ce point d’honneur qui distingue les financiers anglais un ample excédant des recettes sur les dépenses ; il avait constaté avec un légitime amour-propre que des rachats continus de consolidés, le plus efficace des amortissemens, ont ramené la dette anglaise au chiffre où elle était avant la guerre de Crimée ; il avait annoncé un plan qui doit, en quelques dizaines d’années, diminuer la dette britannique d’un milliard de francs : il avait donc tout lieu de féliciter son pays sur la solidité, l’ordre et la prospérité de ses finances quand a éclaté la grande panique de la Cité. Une vieille et puissante maison de banque venait de suspendre ses paiemens avec un passif de 275 millions de francs ; un des plus célèbres et des plus actifs entrepreneurs de travaux publics de notre époque arrêtait ses affaires avec un passif de 100 millions ; d’autres établissemens de finance ou d’entreprise succombaient en même temps. C’était une déroute générale, aggravée par des défiances folles. Partout le crédit s’arrêtait. Un run, comme disent les Anglais, c’est-à-dire des queues de déposans, venait en toute hâte redemander aux banquiers les fonds remboursables à