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pas dans les habitudes de la Prusse de se laisser braver par un état secondaire, il était naturel de croire que la cour de Berlin se serait épargné une démonstration envers la Saxe, si cette démonstration devait n’être point suivie d’une exécution immédiate et par conséquent rester impuissante. M. de Bismark en cette circonstance s’est montré plus patient qu’on ne l’aurait cru, et l’effet de sa démarche, au point de vue allemand, a tourné contre lui. Au lieu d’intimider la Saxe et les petits états, il n’a fait que fournir à M. de Beust l’occasion d’obtenir de la diète une manifestation importante contre les vues du cabinet de Berlin. La majorité des états secondaires s’est prononcée avec éclat contre la politique de M. de Bismark. Ce qui donne à ce vote une haute signification morale, c’est qu’il a réuni des états auxquels on attribue des politiques différentes, le Hanovre, ultra-conservateur, le grand-duché de Bade, radical, la Bavière, que l’on avait accusée d’ambitions particulières. Pour que l’échec moral de M. de Bismark parût plus complet, la Prusse a répondu à l’opposition de la diète en la menaçant de se retirer de la confédération. Bizarre contradiction ! dans la question fédérale la plus importante du moment, M. de Bismark, l’homme de l’hégémonie prussienne, l’unioniste fanfaron qui voulait fusionner l’Allemagne par le suffrage universel sous la protection du sceptre prussien, s’est trouvé amené à inaugurer sa politique unitaire par une menace de séparation. M. de Bismark, partant pour l’union, commence par la sécession ! Un pareil prélude nous apprend le sort qui attend le projet de réforme fédérale proposé par le cabinet de Berlin. Une autre marque d’incertitude dilatoire que l’on ne prévoyait point non plus de la part du ministre du roi Guillaume, c’est la dissolution de la seconde chambre prussienne et la convocation d’un nouveau parlement. Tandis qu’en Italie le parlement donne temporairement de pleins pouvoirs à la couronne, le roi de Prusse éprouve le besoin d’obtenir pour sa politique la sanction de la nation représentée. Tous ces faits démontrent que le cabinet prussien est moins fort dans la confédération qu’on ne l’aurait supposé, qu’il n’est point en mesure de brusquer l’Allemagne et de la mener haut la main, qu’il rencontre devant lui la double résistance des intérêts libéraux et des intérêts conservateurs, que dans la lutte l’Autriche aura pour elle l’autorité de la légalité germanique actuelle. Après toutes ces confusions, finirait-on par découvrir qu’il y a dans le fait de M. de Bismark plus d’étourderie que de véritable puissance de résolution, et que le terrible agitateur prussien serait ramené à la taille la plus modeste, si le concours de l’Italie venait à lui manquer ?

Nous touchons au nœud des difficultés actuelles. Il n’y aurait pas de question austro-prussienne, s’il n’y avait une question austro-italienne. Les grands hasards auxquels l’Autriche est exposée, les maux dont souffre déjà l’Europe, les bouleversemens sanglans qui la menacent, ont pour cause manifeste l’antagonisme fatal, inévitable, qui animera l’Italie contre