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arrêté à temps sur cette pente funeste ? Il serait téméraire de l’affirmer ; mais on ne peut méconnaître qu’il a tout à coup montré à négocier le retrait des troupes turques autant d’ardeur qu’il en avait mis à les appeler. Les agens français ont pu le seconder dans cette négociation d’autant plus efficacement que la Porte ne peut les accuser de s’être montrés bien ombrageux envers l’intervention ottomane. Nous nous plaisons d’ailleurs à le constater : le patronage persistant de la France n’est pas accordé sans réserves. Dans les divers articles que le Moniteur a consacrés à Davoud-Pacha, la question capitale du moment, la question de la milice indigène, revient avec une insistance qui fait singulièrement ressembler l’apologie à un ultimatum. Il y a là un tardif, mais visible réveil de défiance auquel les vrais amis du gouverneur-général ne sont pas moins intéressés à applaudir que les amis de la montagne. C’est en effet une loi de sa complexe situation que le meilleur moyen de le soutenir est de le surveiller. Tant qu’il est resté sous le poids des préventions inhérentes à son origine officielle, tant qu’il s’est senti suspect de tendances turques, Davoud a fait merveille dans le sens libanais. Dès qu’il a vu au contraire succéder à la réserve une confiance absolue, dès qu’il a eu pour caution vis-à-vis des intérêts libanais en général, des intérêts chrétiens en particulier, l’appui déclaré du gouvernement français et du saint-siège[1], il s’est empressé de prendre ses aises du côté turc. À ce point de vue, l’importance que, pour avoir voulu trop réussir, il vient de donner à Caram ne peut manquer aussi de réagir utilement sur lui-même. Le besoin de réhabilitation va se mesurer chez lui sur l’autorité nouvelle de l’accusateur. Il ne faut donc pas désespérer de voir s’ouvrir pour le Liban une autre ère de sécurité, de légalité et de liberté, qui aurait cette fois pour point de départ l’organisation sérieuse de la force indigène. Une fois cependant désarmé de tout prétexte ou de toute nécessité légale d’appeler les troupes turques, Davoud-Pacha ne serait encore qu’à moitié délivré de la pression ottomane, qui s’exercerait toujours sur lui à chaque renouvellement de mandat. Quant à ces dangers périodiques, nous ne verrions que deux moyens d’y couper court : ou revenir purement. et simplement à l’indigénat, ou bien identifier les intérêts de Davoud-Pacha avec ceux de la montagne, le nommer gouverneur à vie, lui conférer en un mot une sorte d’indigénat artificiel.


G. D’ALAUX.

  1. La cour de Rome a, depuis bientôt deux ans, pris ouvertement fait et cause pour Davoud-Pacha contre le patriarche maronite.