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de son sol. Il en est des grands talens comme de la nature ; ce que vous appelez leurs défauts fait la plupart du temps partie de leur structure même et sert de base, de contre-poids ou d’auxiliaire à ces qualités que vous admirez en eux. Ces défauts, c’est l’abîme sans lequel la montagne cesse d’être compréhensible, c’est la fissure sans laquelle le rocher cesse d’être pittoresque, c’est le volcan souterrain auquel le paysage doit ses lignes précises ou ses surfaces fertiles. — On me dira que par cette théorie M. Victor Hugo entendait plaider pour les intérêts de son propre talent ; cela est bien possible, mais la théorie n’en est pas moins d’une incontestable vérité, et je ne puis qu’y souscrire. C’est la nature plutôt que le poète qu’il faudrait accuser de tels défauts, car elle seule tient la clé de pareils mystères. Elle a voulu créer une imagination qui eût telle forme plutôt que telle autre, et pour cela une certaine quantité de défauts dont elle seule connaît l’utilité et la valeur lui était nécessaire ; elle l’a employée sans hésiter. Les défauts du genre de ceux de Victor Hugo sont de ceux qu’il suffit de reconnaître une fois pour toutes et qu’il faut ensuite accepter avec résignation, car ils sont une des fatalités, et, pour employer son propre langage, une des ananké du poète. Les lui reprocher est peine perdue, car il ne s’en corrigera point par la raison bien simple qu’il lui serait aussi impossible de s’en corriger que de changer les traits de son visage ou la couleur de ses yeux. Dites, si vous voulez, que ces défauts classent le poète à tel ou tel degré de la hiérarchie du génie, qu’ils le confinent dans telle ou telle catégorie d’esprits, qu’ils le condamnent à une place moins élevée que celle qu’il occuperait, s’ils ne le déparaient pas, et vous serez dans le vrai ; mais c’est là une autre question, et nous n’avons pour le moment aucune raison de l’examiner. Donc, pour cette partie de notre tâche, contentons-nous de dire sommairement qu’il y a dans le nouveau roman trop d’épithètes énormes, trop d’antithèses et de chocs de mots, trop de substantifs employés adjectivement, et passons.

Nous ne pouvons pas faire aussi bon marché des défauts qui relèvent de la volonté du poète et que par conséquent il était maître d’éviter. Ainsi nous n’avons pas trouvé dans ce livre au même degré que dans ses anciennes productions cette science magistrale de la composition qui le distingue si particulièrement au milieu des autres poètes de son temps. Cette fois la symétrie et l’harmonie manquent ; les différentes parties du livre ne sont pas entre elles en exact équilibre, et ne parviennent pas à se réunir en un ensemble régulier. Le récit, qui est très court, paraît cependant démesurément long, et il est long en effet, car il n’est pas en rapport avec l’histoire très simple imaginée par le poète. L’exposition, qui est