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guerre, si bien que Carnot lui proposa un jour de lui en laisser la direction. Ses ennemis personnels voient en lui « un petit Montesquieu adolescent avec la cruauté d’un Néron homme fait ! » D’autre part ils reconnaissent que nul n’avait la tête plus forte, qu’à vingt-cinq ans il dominait la convention, que l’âge seul lui manquait pour tout conduire, que l’obéissance naissait naturellement d’elle-même là où il était, qu’on ne pouvait le voir ou l’entendre sans plier et frissonner, qu’enfin, les pieds dans le sang, la tête dans la nue, il réalisait l’image des deux déesses de Rome, « la Pâleur et la Terreur, » qui avaient si longtemps gouverné la terre. Du haut de ces nues, comment s’est-il soumis à Robespierre ? Il reconnut en lui la vertu farouche qui lui avait apparu dans ses rêves, et l’homme d’orgueil fléchit le genou devant « l’incorruptible. » Jamais on ne découvrit dans Saint-Just un moment de révolte. Dès le premier jour, il voua un culte à Robespierre ; ce culte dura jusqu’à la dernière heure. Il fit tout pour s’en faire un maître ; il lui mit à la main le sceptre de la mort que lui seul eût pu porter. Il prêta à Robespierre ses facultés, son audace, son impassibilité, son délire. Il l’encouragea, il resta son disciple quand il fut son égal, il eut pour lui dans le danger des mots fraternels comme devant son aîné ; il fit plus, il l’aima. Pourtant il ne put anéantir sa nature ; en dépit de lui, sa supériorité se montrait dès que l’action devenait nécessaire. Robespierre ne put prendre l’audace d’action de Saint-Just ; Saint-Just ne put ni ne voulut usurper sur Robespierre. Ils finirent ainsi par se paralyser l’un l’autre. » Ainsi ces deux dictateurs, ces hommes d’orgueil qui avaient tout envahi, tout écrasé d’un bout à l’autre du grand foyer de 89, les seuls enfin qui parussent avoir le droit de vivre, ils étaient morts avant que le jour de la délivrance, comme dit Marie-Joseph Chénier, se fût levé sur ce champ de désolation.

L’influence meurtrière de la terreur éclate jusque dans l’événement qui met fin à ce régime exécrable. Jamais cause plus juste fut-elle défendue d’une manière plus odieuse et plus lâche ! Seuls les historiens jacobins n’ont pas le droit de condamner les infamies dont la France devint le théâtre après le 9 thermidor, car c’est encore la terreur qui en est responsable. Le tempérament de la nation avait subi de si profondes atteintes ! Nul élan désormais, nulle générosité, rien de ce qui avait pu racheter au début de la révolution les emportemens du délire ; M. Quinet démontre que la populace révolutionnaire n’a jamais été plus vile que dans la journée du 1er prairial 1795. Quant aux représailles des provinces, quant à ces terreurs blanches qui souillèrent le midi, il suffit de prononcer ce nom pour rappeler ce que la vengeance a de plus ignominieux. Voilà donc le résultat du fanatisme jacobin ! Ce pays, que la