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C’est le mépris de l’individu qui fait de la révolution une idole de bronze à laquelle on sacrifie des milliers de victimes innocentes ; c’est le mépris de l’individu qui met partout le soupçon, c’est-à-dire la délation et le supplice. On invoque sans cesse le salut du peuple ; où est-il ce peuple ? Chacun de ceux qui le composent est également exposé. L’horreur et le péril vont croissant de jour en jour, car il est interdit à la terreur de s’arrêter jamais. Plus on a méprisé l’individu et accumulé les cadavres, plus on a soulevé d’implacables haines. Le jour où la hache s’émousse, la vengeance se dresse pour mettre à profit cet instant de lassitude, et déjà elle crie à mi-voix, comme dans les strophes du poète provençal : Aiguisons de frais le grand couteau, tranchons la tête du bourreau ! Il faut donc recommencer à frapper, si l’on veut échapper au vengeur. Logique inexorable ! celui qui a marché une fois dans ce chemin, la mort lui crie à toute heure comme à l’homme éperdu dont parle Bossuet : Marche ! marche ! « Les terroristes, dit-on, attendaient une heure propice pour se dépouiller de la terreur. Illusion ! cet instant favorable ne devait jamais arriver. Ils ne pouvaient ni renoncer à leur arme, ni en être dépouillés sans périr au même moment. »

Est-il vrai que la terreur, digne de malédictions éternelles chez ceux qui ont donné le signal de la Saint-Barthélémy ou révoqué l’édit de Nantes, puisse être bienfaisante aux mains des défenseurs du droit ? L’âme noble de M. Quinet se révolte contre un pareil sophisme. Le crime reste crime, l’iniquité ne cesse pas d’être iniquité, quelque usage qu’on en fasse. « Non, s’écrie-t-il généreusement, il n’y a pas de privilèges pour nous. » Il ne revendique pour la révolution que les armes de l’esprit. Le despotisme monarchique de l’ancien régime peut invoquer la nécessité politique, l’unité du royaume ; quand le despotisme plébéien se réclame des mêmes maximes, la révolution perpétue les misères sociales qu’elle est venue réformer et s’enlève toute raison d’être. Elle n’est plus un principe, elle est un fait. Des accidens l’ont amenée, d’autres accidens l’emporteront. Ajoutez que ce système inique, ce système qui ne peut durer qu’à la condition de renouveler sans cesse ses froides férocités, est condamné par la force des choses à s’épuiser, avec une rapidité foudroyante. Est-il beaucoup de terroristes qui aient eu le vrai tempérament de la terreur ? Dans cette vie horriblement factice, quel art, quelle vigilance, quelle hypocrisie, que de lâchetés secrètes, quels dons de nature, quelles luttes contre la nature, enfin que de choses contradictoires étaient nécessaires pour que le terroriste fût tous les jours au véritable point ! Ni trop haut ni trop bas, ni trop de zèle ni trop de lenteur. Comme une